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Se faire une toile avec Tarantula
It's my story

9 minute(s)

14 May 2025

Se faire une toile avec Tarantula

Donato Rotunno dans son bureau de Bonnevoie

Donato Rotunno a fondé Tarantula Luxembourg en 1995 (crédit : Emmanuel Claude / Focalize)

Entre Terra mia, premier film documentaire réalisé par Donato Rotunno en 1995 et Horizonte dernière production de la société Tarantula, révélée au public à l’occasion du Lux Film Fest 2025, 30 ans d’œuvres audiovisuelles et cinématographiques se sont écoulés. Durant cette période, Donato Rotunno a réalisé 3 films de fiction et 10 documentaires, la société Tarantula a (co)produit environ 70 films et en a distribué une soixantaine via sa filiale Tarantula distribution.

Pourquoi avoir choisi Tarantula comme nom pour votre société alors que beaucoup de gens n’aiment pas les araignées ?

Le nom et le logo en forme d’araignée ont été choisis à l’origine par Marco Giusti qui avait fondé la société Tarantula à Londres. À l’époque il proposait surtout de l’habillage d’émissions de télévision. C’était le boum du digital, des logos animés et il fallait trouver une signature marquante. Le coup était d’ailleurs très réussi. Quand vous laissez chez des clients un dossier rouge avec araignée noire sur la couverture, il se remarque et on ne l’oublie pas ! Ce nom et ce logo ont vraiment été pensés pour leur impact visuel, qui ne se dément d’ailleurs pas aujourd’hui. J’ai rencontré Marco lors de l’un de mes premiers projets à l’issue de mes études de cinéma. Lorsque je l’ai rejoint et que nous avons créé Tarantula Luxembourg, notre idée était de rassembler des sociétés indépendantes au sein d’un réseau international sous une bannière commune. Nous avons gardé le nom Tarantula car la marque s’était révélée très efficace.

En 2011 Tarantula Luxembourg a créé une branche distribution et en 2013 vous avez contribué à la création du Filmland. Pourquoi ces deux développements ?

La distribution est la continuité naturelle de notre métier de producteur d’œuvres audiovisuelles. C’est le dernier maillon, celui qui consiste à emmener l’œuvre vers son public. Nous souhaitions que le public luxembourgeois puisse avoir accès aux films que nous coproduisions avec nos partenaires étrangers. Puis nous avons étendu ce service à d’autres œuvres non produites par nous mais qui rentrent dans notre « ligne éditoriale », des films à messages et des histoires humaines fortes.

La création du Filmland, en 2013, est le résultat de l’association de cinq sociétés de production dont Tarantula. Il devenait nécessaire de se doter de studios de tournage au Luxembourg car l’industrie se développait rapidement. Nous avons trouvé un investisseur privé qui a financé la construction de ces 4.000m2 d’infrastructures. De leur côté, les cinq sociétés de production garantissent l’optimisation de l’utilisation des espaces et en assurent la gestion. Avant de pouvoir disposer de ce bel outil, les tournages étaient parfois compliqués par des conditions météorologiques capricieuses, par la difficulté de trouver des décors, de les sécuriser. Chacun était donc contraint de monter une sorte de PopUp studio pour ses propres besoins, qui était démonté à l’issue du tournage. Maintenant nous pouvons mutualiser les ressources et le confort de travail pour les artistes et comédiens est grandement amélioré.

Comment intègre-t-on un réseau de sociétés de production ?

Les cinq premières années de Tarantula ont été pour moi des années d’apprentissage. Je devais apprendre à fabriquer des films, en commençant par des courts métrages avant d’aborder les longs, comme tous ceux qui débutent dans le cinéma. Avec ces premières réalisations, nous avons eu accès à des festivals et donc à des marchés. Pour me professionnaliser davantage, j’ai suivi des formations en production, à l’international, pour comprendre et apprendre le fonctionnement de cette profession. Dans les festivals et lors de ces formations, j’ai commencé à réseauter, car c’est l’un des objectifs de ces démarches. C’est grâce à cela que j’ai trouvé mes premiers partenaires. Puis j’ai eu la chance que le film Une part du ciel de Bénédicte Liénard, notre première production d’un long métrage de fiction, soit projeté à Cannes et les choses se sont enchaînées. Pour résumer, construire un réseau demande beaucoup de travail et d’investissement personnel. C’est aussi une histoire d’intuitions et surtout de rencontres humaines au bon moment… et de curiosité, qu’il faut entretenir en permanence.

Quelle est la plus grande préoccupation d’un chef d’entreprise dans le cinéma ?

Ce qui me préoccupe en tant que chef d’entreprise est la même chose que ce qui m’interroge en tant que citoyen ou père de famille, c’est ce qui se passe dans le monde. Car le contexte général peut impacter tous les aspects de notre vie. Nous produisons un cinéma qui est le reflet du monde et de la vie, avec son lot d’inquiétudes mais aussi d’espoirs. Nous coproduisons des films dans tout type de pays et nous sommes parfois confrontés à des contextes économico-politiques bien plus fragiles que ce que nous connaissons en Europe. Or, nous avons besoin de stabilité politique et économique pour réaliser des films car ce sont des projets qui s’étalent sur 3 à 5 ans et qui peuvent être mis en danger par un changement inattendu. Ainsi, quand je me lève le matin, je ne regarde pas les cours de la bourse mais plutôt ce qui se passe dans le monde, les résultats des élections dans tel ou tel pays, l’importance réservée à la culture dans tel autre pays où nous avons des projets etc. Nos gros financeurs sont pour la plupart des institutions publiques, qui elles-mêmes dépendent de décisions politiques. J’ai souvent observé que plus une société atteint un bon niveau de bien-être économique, plus la culture y a une bonne place. Mais dans le monde actuel, tout peut changer très vite !

« C'est l'envie qui fait la différence, qui donne l'énergie nécessaire pour démarrer quelque chose. »

[ Donato Rottuno ]

Durant la Covid 19, vous aviez partagé une certaine inquiétude pour votre secteur. Comment ça va aujourd’hui ?

Durant cette période, nous n’avons heureusement pas été oubliés. Nous avons pu préserver nos entreprises et tout ce que nous y avons investi depuis des années. Mais cette période a laissé des traces dans toute la société. En tant qu’employeur, nous avons été confrontés aux mêmes questions que dans les autres secteurs, sur le télétravail, l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, etc .

Aujourd’hui, même si tout ne va pas bien, pas grand-chose ne va mal !  Je dirais que le Luxembourg s’en sort plutôt bien dans le brouhaha actuel. Le nouveau gouvernement entretient le dialogue avec notre secteur. Ce soutien est très appréciable. Ce qu’il faudrait encore améliorer est l’accès à des sources de financement diversifiées. Au Luxembourg, heureusement nous avons le Film Fund qui est en charge de l’attribution des fonds publics à notre secteur mais nous n’avons que cela comme source de financement.   Dans d’autres pays, il existe des accords avec les grandes chaines de télévision, les territoires d’exploitation sont beaucoup plus vastes et la vente de billets alimente les productions. Nous aimerions que soit étudié un système de crédit d’impôt pour les investisseurs privés désireux de contribuer au financement de l’industrie du cinéma. Ce système marche très bien ailleurs. Il pourrait être transposé ici.

Quels sont les défis de votre industrie ?

Le travail administratif est devenu asphyxiant. Entendons-nous, je suis absolument en faveur des réglementations, notamment européennes, car elles nous protègent.  Mais il faut nous débarrasser des démarches trop lourdes et trop longues. La digitalisation va dans le bon sens, notamment tout ce que l’on peut faire grâce à MyGuichet.lu mais, selon moi, il y aurait moyen de réduire ce que j’appelle la « contrôlite aiguë ». Trop de pouvoir est donné aux contrôleurs, auditeurs, etc. Ils sont trop souvent le passage obligé entre les décideurs, les financeurs et les faiseurs que nous sommes. Nous aimerions plus de dialogue direct et plus de confiance.

Le bureau de Donato Rotunno regorge de souvenirs de 30 années de productions, tournages et distributions d’œuvres audiovisuelles fortes. (crédit : Emmanuel Claude / Focalize)
Le bureau de Donato Rotunno regorge de souvenirs de 30 années de production, tournage et distribution d’œuvres audiovisuelles fortes. (crédit : Emmanuel Claude / Focalize)
Combien faut-il produire de films par an pour être rentable ?

C’est plutôt en termes de chiffre d’affaires qu’il faut raisonner. Chez Tarantula nous sommes cinq permanents en CDI mais notre masse salariale est en accordéon selon l’étape des projets.  En amont (développement) et en aval (post-production) les effectifs sont réduits mais ils peuvent monter d’un coup, avec plusieurs dizaines de personnes en CDD, en phase active de production. Il faut donc faire en sorte d’avoir assez de projets à différents stades pour ne jamais être dans un creux, et essayer d’avoir de la visibilité à deux ou trois ans, ce qui n’est pas facile car, pour tout un tas de raisons, un projet peut être repoussé de 6 mois ou d’un an. C’est parfois beaucoup de stress mais c’est aussi un choix de vie, une passion. Il faut trouver un équilibre entre adrénaline, inquiétude, bonheur, satisfaction et plaisir.

« Nous aimerions que soit étudié un système de crédit d'impôt pour les investisseurs privés désireux de contribuer au financement de l'industrie du cinéma.»

[ Donato Rotunno ]

Pensez-vous qu’il est encore possible de créer une nouvelle entreprise dans ce secteur au Luxembourg ?

Je dirais que ça vaut toujours le coup de tenter l’aventure. C’est surtout l’envie qui fait la différence, qui donne l’énergie nécessaire pour démarrer quelque chose. Il y a trente ans on nous permettait un apprentissage progressif. Aujourd’hui le secteur s’est beaucoup professionnalisé et les exigences de compétences sont très élevées dès le départ. À nos débuts, nous avions une petite dose d’expérience et surtout beaucoup d’envie et de naïveté. Aujourd’hui, la naïveté n’est plus de mise. Mais je pense que beaucoup de secteurs vivent la même chose.

Êtes-vous partant pour encore quelques dizaines d’années ?

Personnellement, je me vois encore continuer longtemps. Ce métier alimente ma curiosité de la vie.  La bataille à mener est celle de la tolérance. Le but n’est pas de convaincre à tout prix mais de proposer des choses différentes, des pistes de réflexion. C’est important qu’il y ait toujours un espace pour cela dans un monde qui se radicalise.

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