Aller au contenu
Les entreprises luxembourgeoises face à l’incertitude : entre fragilité et résilience
The economy
12 décembre 2025

Les entreprises luxembourgeoises face à l’incertitude : entre fragilité et résilience

Le mot Doubt en néon sur un mur

(crédit : Behnam Mohsenzadeh / Unsplash)

Partager

Auteur Jil Brimaire, Affaires économiques, Chambre de Commerce

Depuis 2020, la succession de crises – pandémie, perturbations logistiques, crise énergétique et inflationniste, guerre en Ukraine, sans oublier le retour des tensions commerciales alimentées par des droits de douane sans précédent – a fait de l’incertitude la norme plutôt que l’exception. Dans ce contexte, il devient essentiel de comprendre comment les entreprises s’adaptent. Le Baromètre de l’Économie, enquête semestrielle qui prend le pouls des entreprises, offre à la fois un suivi régulier des indicateurs conjoncturels clés et un éclairage thématique sur des enjeux majeurs et d’actualité. Pour l’édition du 2e semestre 2025, la Chambre de Commerce s’est concentrée sur une question cruciale: comment les entreprises naviguent-elles parmi les incertitudes économiques et géopolitiques? Quels impacts en ressentent-elles, quelles stratégies mettent-elles en place et quel soutien jugent-elles indispensable?

Le score du Baromètre de l’Économie du 2e semestre 2025, moyenne de sept indicateurs clés[1], est de 51,8/100, quasi inchangé par rapport au semestre précédent (51,4/100). Cela confirme une économie en « zone grise » : ni repli marqué, ni véritable reprise. L’activité des six derniers mois a été moins vigoureuse qu’anticipé : 30% des entreprises déclarent une contraction sur le semestre écoulé, alors qu’elles n’étaient que 18% à l’anticiper. Les dirigeants montrent toutefois à nouveau un espoir de « rebond » pour le 1er semestre 2026, la part des entreprises craignant une contraction retombant à 17%.

Le ralentissement n’est toutefois pas uniforme : il touche surtout les secteurs dépendant de la demande intérieure ou de coûts de production. Ainsi, l’industrie souffre davantage qu’attendu (42% ont constaté une baisse au dernier semestre, bien que seuls 22% l’avaient anticipée), l’HORECA et le commerce montre une tendance similaire, tandis que les services financiers résistent mieux que prévu : seulement 9% ont vu leur activité baisser (contre 16% qui l’ont anticipé), et 54% s’attendent à une hausse au semestre prochain. Côté ventes nationales, 57% des entreprises tablent sur une stabilité de leur chiffre d’affaires pour 2026, niveau le plus élevé depuis 2020, et la part anticipant une baisse recule de 26% à 19%.

Emploi, investissement, rentabilité: stabilisation, pas accélération

La dynamique de création d’emplois s’essouffle depuis 3 ans : une large majorité d’entreprises (70%) s’attend à une stabilité de son effectif, avec cependant une note plus positive dans les services financiers (21% prévoient d’embaucher, contre seulement 7% annonçant des réductions de poste). À l’inverse, l’HORECA et le commerce s’attendent davantage à des contractions. Les investissements devraient, eux aussi, se maintenir dans les 6 mois prochains : 64% des entreprises les stabilisent, 19% les réduisent (le niveau le plus bas depuis début 2023) et 18% envisagent une hausse – une structure quasi inchangée depuis fin 2022. Dans le même esprit, la rentabilité montre des signes de stabilisation (61% s’attendent à un niveau stable), une première depuis fin 2022, avec une forte amélioration espérée dans les services financiers (40% anticipent une hausse).

Coûts et pénurie de la main-d’œuvre, surrèglementation: les trois verrous pour 2026

Les défis restent globalement inchangés par rapport à 2025, mais certains s’accentuent : le coût du travail (59%) et la pénurie de main-d’œuvre qualifiée (55%) dominent depuis 2019, tandis que les contraintes réglementaires grimpent de 8 points en un an : désormais 37% les considèrent comme un grand défi pour leur développement économique en 2026, et même 84% dans la finance et l’énergie. Autrement dit, le poids réglementaire ne faiblit pas, malgré les tentatives de simplification amorcées par les autorités européennes et nationales. À noter que seules 10% des entreprises considèrent les barrières commerciales comme un défi prioritaire pour 2026.

Confiance: la résilience microéconomique face au doute macroéconomique

Le décrochage entre la confiance dans l’avenir de l’entreprise et celle dans l’avenir de l’économie nationale s’amplifie et est même devenu structurel depuis la crise énergétique : 78% des chefs d’entreprise se disent confiants ou très confiants dans leur propre avenir à 2-3 ans, contre 67% seulement pour l’avenir de l’économie luxembourgeoise – un niveau loin des près de 90% observés avant la crise sanitaire. Ce gap de 11 points entre les deux indicateurs – le plus élevé depuis 2019 – traduit une résilience interne aux entreprises encore solides, mais un scepticisme persistant quant aux fragilités de l’environnement général et aux faiblesses structurelles du pays. En d’autres mots, les entreprises semblent croire davantage en leur propre capacité de résilience qu’en celle de l’économie luxembourgeoise.

 

Les incertitudes économiques et géopolitiques

82% des entreprises s’attendent à un impact (léger, fort ou très fort) sur leur activité ou leur rentabilité au cours des 6 à 12 prochains mois spécifiquement en raison des incertitudes économiques et géopolitiques. Elles sont toutefois lucides quant à la nécessité de continuer à investir dans leur avenir : près de six entreprises sur dix maintiennent leurs projets d’investissement. Seul un quart des dirigeants est encore indécis quant à ses choix stratégiques. Les résultats montrent également que la volatilité des prix, que ce soit les prix en général (56%) ou ceux de l’énergie et des matières premières (40%) risque d’impacter l’activité de beaucoup d’entreprises dans les 6 à 12 mois à venir. Les autres risques redoutés sont l’instabilité des marchés financiers (38%), les cyberattaques (33%) et les tensions commerciales (32%). Des nuances sont toutefois visibles selon les secteurs : l’énergie et le secteur financier se montrent particulièrement sensibles aux risques cyber et aux tensions commerciales, l’industrie craint surtout la hausse des prix de l’énergie et des matières premières, tandis que l’HORECA redoute fortement le risque d’inflation en général.

Une dynamique d’adaptation qui émerge, portée par le secteur financier

Plus d’un tiers des entreprises a déjà mis en œuvre, ou est en train de déployer des mesures pour anticiper ou gérer les incertitudes. Le secteur financier se distingue particulièrement : 27% des acteurs ont déjà adopté de telles mesures, faisant de lui le secteur le plus proactif. Pourtant, près de 70% des entreprises n’ont mis en place aucune mesure d’anticipation ou de gestion spécifique. Elles sont principalement freinées par le manque de ressources humaines (41%), de moyens financiers (30%), de compétences (29%) ou d’informations claires et accessibles (27%). Parmi celles qui ont agi (ou envisagent d’agir), l’exploration de nouveaux marchés (39%), la diversification des fournisseurs (35%) et le renforcement de la cybersécurité (33%) dominent.

La prévisibilité réglementaire, clé des investissements

Dans ce paysage économique mouvant, la prévisibilité réglementaire devient un levier déterminant : 61% des entreprises déclarent avoir besoin de stabilité et de prévisibilité pour prendre des décisions d’investissement stratégique, un besoin particulièrement prononcé dans le secteur des services financiers (83%) et l’industrie (77%). Pour 41% des dirigeants, une prévisibilité à moyen terme (au moins 1 à 2 ans) est jugée nécessaire pour engager un investissement stratégique, 21% souhaitent même une prévisibilité à long terme (≥ 5 ans).

Résilientes, oui… mais pas sans conditions!

Après une année difficile, les entreprises luxembourgeoises expriment le besoin de bases stables : davantage de visibilité, une meilleure prévisibilité, un allègement du coût du travail et de la complexité réglementaire. Ces éléments sont essentiels pour permettre leur développement et continuer à soutenir la croissance du pays. Dans un contexte européen en perte de vitesse et face à des chocs mondiaux qui se multiplient, il est crucial de renforcer la dynamique productive en réduisant l’incertitude « faite maison ». Ce n’est qu’à cette condition que la confiance, essentielle à toute croissance durable, pourra se rétablir.

Méthodologie

La 14e édition du Baromètre de l’Économie repose sur les réponses recueillies auprès de 757 entreprises d’au moins 6 salariés. Les résultats ont été pondérés de manière à être représentatifs de l’économie luxembourgeoise. L’enquête a été réalisée par l’institut ILRES, du 15 septembre au 3 octobre 2025, sous la direction et la supervision de la Chambre de Commerce, qui en a également assuré l’analyse. Le Baromètre de l’Économie est conduit deux fois par an, au printemps et à l’automne.

Pour aller plus loin

Consultez l’ensemble des résultats depuis 2019 grâce à notre nouvel outil interactif de visualisation

[1] Le score du Baromètre de l’Économie (sur 100) correspond à la moyenne de 7 indicateurs de conjoncture : confiance dans l’avenir (entreprise et économie), activité (six derniers mois et six prochains mois), emploi, rentabilité et investissements.

Merkur Magazine

L’ÉDITION HIVER
2025
EST DISPONIBLE!