Aller au contenu

Inscription

Maxime Sbaihi met en garde contre « le piège de la dénatalité »
The economy

7 minute(s)

04 July 2025

Maxime Sbaihi met en garde contre « le piège de la dénatalité »

L'économiste en costume les mains dans les poches

« Le retournement démographique à l’œuvre n’est pas encore considéré à sa juste valeur », regrette l’économiste Maxime Sbaihi (crédit : Hannah Assouline)

Partager

Auteur Anthony Villeneuve / Affaires économiques, Chambre de Commerce

L’économiste Maxime Sbaihi livrera son éclairage sur la transition démographique à l’occasion du  forum « It’s the economy, stupid ! », organisé le 16 septembre à la Chambre de Commerce. Dans son livre Les Balançoires vides, qui fait suite à son premier ouvrage Le grand vieillissement, il alerte sur le « piège de la dénatalité » qui est en train de se refermer sur le monde et en particulier sur l’Europe. Face à un phénomène qui semble inexorable, il appelle à l’action. Extraits.

Lorsque l’on évoque les grandes transitions qui bouleversent l’économie mondiale, il y en a une que l’on oublie souvent, à tort : la transition démographique, qui se traduit par un vieillissement de la population, lequel résulte à la fois de l’allongement de l’espérance de vie, mais aussi d’une chute de la natalité. L’économiste Maxime Sbaihi a consacré un ouvrage, Les balançoires vides, à ce qu’il appelle « la dénatalité ». Et dès les premières pages, il s’étonne du manque de considération pour ce phénomène : « Le retournement démographique à l’œuvre n’est pas encore considéré à sa juste valeur dans la catégorie des grandes révolutions actuelles, ces fameuses « mégatendances » chères aux éditorialistes. La dénatalité mérite toute sa place, au même titre que le réchauffement climatique et la révolution technologique, dans le club très restreint des grandes mutations à même de changer le cours de l’histoire. Elle est certes moins palpable qu’un été caniculaire, moins ostentatoire que les nouvelles fonctionnalités d’une intelligence artificielle, mais ses effets sont tout aussi puissants. »

Une population mondiale qui décroît

Ce qui est en jeu, c’est la fin de la croissance démographique mondiale. « S’ils diffèrent sur la date exacte du basculement, la plupart des scénarios sérieux tablent désormais sur une décroissance de la population mondiale dès le prochaines décennies, écrit l’économiste. Les écoliers d’aujourd’hui assisteront vraisemblablement à la première réduction de la population humaine sur Terre depuis le XIVe siècle et sa peste noire qui faucha presque un tiers de la population européenne. Cette fois, le déclin sera volontaire, provoqué par une baisse drastique des naissances plutôt que sur un accélérateur exogène de mortalité ».

Certaines régions du monde n’auront pas à attendre quelques décennies pour emprunter le toboggan démographique. C’est notamment le cas de l’Europe, le seul continent où les naissances ne permettent déjà plus de compenser les décès. « C’est aussi le continent le plus vieillissant, observe Maxime Sbaihi. Avec à la fois l’âge médian (44,5 ans) le plus élevé et le taux de fécondité (1,46) le plus bas de tous les continents. » Mais les autres régions ne sont pas épargnées pour autant. « Alors que les pays européens ont mis un siècle, parfois plus, pour diviser par deux leur taux de fécondité, la Corée du Sud, la Chine ou l’Iran ont réalisé la même performance en l’espace de vingt ans seulement. »

Certains pays se retrouvent même dans une situation dramatique, comme le Japon, qui devrait voir sa population divisée par deux d’ici la fin du siècle si les naissances ne repartent pas à la hausse.

De graves conséquences économiques

Maxime Sbaihi s’appuie d’ailleurs sur l’exemple du Japon pour souligner la gravité des conséquences économiques de cette dénatalité : « Le Japon s’est embourbé dans une crise économique depuis que sa population active a commencé à baisser en 1995. L’économie japonaise n’a toujours pas retrouvé le niveau de son produit intérieur brut (PIB) atteint cette année où son destin a basculé. Le crépuscule économique du pays du Soleil-Levant coïncide avec son crépuscule démographique. Après cinquante années passées loin en deçà du seuil de renouvellement des générations, le Japon manque aujourd’hui cruellement de bras et de cerveaux pour travailler et financer les besoins croissants d’une population toujours plus âgée. […] Les tentative budgétaires et monétaires pour ranimer la croissance ont échoué et fait gonfler une dette publique qui, à 260% du PIB, est la plus élevée au monde. Les économistes parlent désormais de « japonisation » pour désigner ce mauvais cocktail mélangeant une démographie déclinante, une croissance disparue, une dette galopante et une inflation inexistante. »

L’Europe est-elle condamnée à subir le même sort ? « Le consensus des économistes s’accorde à dire aujourd’hui que la démographie est passée d’alliée à adversaire économique dans les pays riches, note Maxime Sbaihi. Si une population jeune et abondante permet de catalyser la croissance par augmentation de la productivité et de la quantité de travail, une population vieillissante réduit la population en âge de travailler, limitant ainsi la force de travail et la croissance potentielle. » Elle impacte aussi les comptes sociaux. « L’entrée dans le grand âge des boomers nous met au défi de la dépendance, avertit Maxime Sbaihi. […] Les conséquences de la dénatalité et du vieillissement de la population sur nos systèmes de sécurité sociale sont monumentales. Ils n’ont pas été conçus pour faire face à la combinaison de ces deux chocs. »

Face à ces menaces, que faire ? Dans son livre, Maxime Sbaihi évoque les trois choix politiques qui se présentent : la stimulation de la natalité, l’immigration et la robotisation. C’est le trilemme démographique théorisé par Paul Morland et Philip Pilkington dont Maxime Sbaihi s’est inspiré pour imaginer un « triangle d’incompatibilité » et démontrer que deux options compatibles ne peuvent l’être qu’aux dépens de la troisième.

L’insuffisante efficacité des politiques natalistes

L’instrument de la procréation est le plus puissant pour raviver la dynamique démographique. Mais il est aussi le plus complexe à activer. « Autant l’avouer tout de suite : [à l’exception d’Israël] aucun des pays riches qui ont tenté de relever la fécondité au-dessus du seuil de renouvellement des générations n’y est parvenu sur la durée », prévient l’auteur. Il passe ainsi en revue les échecs successifs des politiques natalistes : en Italie, en Hongrie, en Corée du Sud, au Japon, à Singapour… « Les nations engagées dans la voie de la procréation sont en train de revenir de l’illusion qu’il suffit de dépenser pour procréer, analyse l’économiste. Dans les pays de l’OCDE, on observe une relation inverse entre l’argent public dépensé en prestations familiales et le taux de fécondité. »

A ce titre, l’exemple chinois est particulièrement frappant. « Il est beaucoup plus facile de faire baisser la fécondité que de la relever, écrit-il. La Chine est en train de l’apprendre à ses dépens. Son taux de fécondité a été divisé par six sur les cinquante dernières années et vient officiellement de tomber à 1,2 enfant par femme – et officieusement probablement moins. […] Instaurée en 1979, la politique de l’enfant unique fut abolie en 2015 et reconvertie en politique de deux enfants puis, en 2021, en politique de trois enfants. Le gouvernement a beau avoir introduit des incitations fiscales, un recours facilité à la fécondation in vitro pour les couples mariés, un meilleur accès aux soins et un congé maternité plus long, rien n’y fait. Pas même les bonnes vieilles mesures autoritaires comme l’interdiction des vasectomies, autrefois encouragées, ou une armée de fonctionnaires chargés d’harceler par téléphone des jeunes femmes pour les inciter à tomber enceintes. Même un régime autoritaire ne peut pas planifier les naissances à la hausse. »

Un vieillissement chinois qui aura de lourdes conséquences économiques à l’échelle de la planète, tant la production manufacturière chinoise pèse mondialement : 28,9% de la production industrielle mondiale selon l’ONU. « Quand la Chine se met à avoir des cheveux blancs, c’est le monde entier qui prend en coup de vieux », résume l’auteur.

L’enjeu de l’immigration

Deuxième option : l’immigration. C’est celle assumée par l’Allemagne. « Si nos cousins rhénans ont accueilli près d’un million de réfugiés syriens en 2015 et un million de réfugiés ukrainiens en 2022, c’est moins par charité chrétienne que par réalisme économique », estime Maxime Sbaihi. Mais tous les pays n’ont pas cette lucidité et sur le terrain politique, l’immigration est souvent présentée comme un épouvantail. L’auteur met en garde contre ce réflexe, sans éluder la question pour autant : « En matière d’immigration, les économistes ont souvent tendance à mépriser la question de l’identité tandis que les identitaires font semblant d’ignorer la question économique ». Mais il prévient : « Seuls les pays traditionnellement très ouverts à l’immigration devraient échapper à une future baisse de leur population active. » C’est précisément sur ce point que le Luxembourg pourrait tirer son épingle du jeu.

Le Japon n’est pas dans cette situation et a choisi la troisième option : la robotisation, notamment pour relever l’immense défi de la prise en charge du grand âge, à travers les « carebots » : « Préférer les robots aux étrangers est un choix de société que le Japon assume. La société est moins résistante à la technologie qu’à l’immigration, son imaginaire collectif étant remplie de références à une coexistence harmonieuse entre robots et humains », décrypte Maxime Sbaihi. Mais il avertit ceux qui seraient tentés d’y voir la solution unique : en dépit des forts progrès que laisse entrevoir l’intelligence artificielle, « les robots risquent de nécessiter davantage d’emplois qu’ils n’en économiseront ».
Pour contrer la dénatalité, l’heure des choix arrive. « Nos responsables politiques doivent enfin prendre la dénatalité au sérieux, conclut Maxime Sbaihi. A gauche, pour se demander comment notre modèle social y survivra et comment les inégalités qui se creusent dangereusement entre les générations y contribuent ; à droite, pour questionner la pérennité d’un système économique déjà en sous-effectif ainsi que la survie de la valeur travail dans une société du vieillissement. »

Le 16 septembre, il aura l’occasion de mettre les décideurs luxembourgeois face à ces choix.

Inscrivez-vous gratuitement à l’événement « It’s the economy, stupid ! » pour assister à la keynote de Maxime Sbaihi ainsi qu’aux autres séquences de la journée

Inscrivez-vous gratuitement à l’événement « It’s the economy, stupid ! » pour assister à la keynote de Maxime Sbaihi ainsi qu’aux autres séquences de la journée

Merkur Magazine

L’ÉDITION PRINTEMPS
2025
EST DISPONIBLE!