Aller au contenu
Anna Vassileva : anticiper le monde et le raconter
It's my story
12 novembre 2025

Anna Vassileva : anticiper le monde et le raconter

L'autrice Anna Vassileva tient son livre "Sang sommeil". Elle est devant sa bibliothèque.

Anna Vassileva, autrice du roman dystopique "Sang sommeil" y explore un futur proche, où la technologie occupe une place de plus en plus prépondérante. (crédit : Emmanuel Claude / Focalize)

Partager

Merkur a rencontré Anna Vassileva, autrice du roman Sang sommeil sur le stand du libraire Ernster, lors de l’événement Nexus 2025 . Ce stand proposait un ensemble d’ouvrages principalement consacrés à l’IA. Bien qu’il s’agisse d’un roman et non d’un essai, le livre d’Anna Vassileva y avait toute sa place tant il traite de sujets connectés à la technologie, que l’autrice connait bien pour avoir été experte en transformation digitale. Sang sommeil brosse le tableau d’un futur proche… à méditer.

Anna Vassileva est d’origine bulgare. Ses parents ont installé leur famille en Belgique quand elle avait sept ans. Elle a grandi dans les Ardennes belges puis à l’âge des études, a choisi de suivre un cursus d’ingénierie de gestion/finance à la Solvay Business school à Bruxelles. C’est au Luxembourg qu’elle démarre une brillante carrière dans le conseil et qu’elle accompagne dans leur transformation digitale des entreprises du secteur banque/assurance ou du secteur public.

Comment êtes-vous passée du confort d’une carrière dans une big four à l’aventure de la création littéraire ?

Je nourris depuis toujours une passion très forte pour les livres. Je suis une lectrice compulsive. J’avale plusieurs centaines de livres par an, avec une moyenne de 3 par semaine !  Mon projet, à l’origine, était de lancer une application digitale pour aider les “gros” lecteurs comme moi à gérer leurs lectures, en garder la mémoire, pouvoir faire des recherches, des partages… J’avais donc cette idée entrepreneuriale et, dans un coin de ma tête l’envie d’écrire sans savoir encore sur quel sujet. Ayant besoin de me familiariser avec la gestion d’une petite entreprise avant de lancer la mienne, j’ai intégré une PME du secteur audiovisuel. C’était une situation gagnant-gagnant. Moi j’ai beaucoup appris et la petite entreprise a pu bénéficier de mon expertise dans le conseil pour amorcer sa phase de scalling-up.

C’est lors de mon travail dans cette entreprise qu’est née l’idée de Sang sommeil car j’avais tout un tas de questionnements sur la santé et la santé connectée en particulier.

Comment gère-t-on un tournant de carrière comme celui-là ? On fait ses comptes ? On se fixe des objectifs datés ?

Il me semblait essentiel de pouvoir me consacrer à 100% à cette nouvelle activité, que je n’aurais pas pu mener à bien en étant toujours en poste. Je me suis donné un an à 18 mois pour écrire mon livre et le promouvoir, vivre ma passion en somme. Mais je sais qu’après cette période il faudra que je reprenne une activité, idéalement autour du monde du livre, de la lecture et de l’écriture.

Vos études d’ingénieur et votre parcours de 15 ans dans le conseil vous aident-ils à gérer votre nouvelle carrière ?

J’utilise les compétences acquises dans mon parcours dans la façon d’appréhender l’écriture et également dans mes connaissances technologiques et digitales qui ont été très utiles pour imaginer le monde futur de manière réaliste et plausible. J’ai abordé mon livre comme on gère un projet. Je suis partie de ma vision, « perdre quelque chose que l’on croit acquis et gratuit » (le sommeil dans mon roman) pour la décliner en concepts, les différents thèmes que je voulais traiter, puis j’ai établi un plan correspondant aux différents chapitres. En tant que lectrice j’aime les chapitres courts. J’ai donc découpé mon propos en chapitres pour lesquels je savais à l’avance ce que chacun devait contenir. Puis vint la phase que l’on appelle l’exécution ou le déploiement en gestion de projet, donc la phase d’écriture proprement dite, au rythme d’un chapitre par jour pour respecter la date limite que je m’étais fixée. Et enfin, commence la phase de relecture qui correspond à la phase de test dans le cas des projets que je déployais chez les clients dans ma précédente vie.

Avant de prendre la plume pour l'écriture de son livre, Anna Vassileva a lu un grand nombre d'ouvrages sur le sommeil et le fonctionnement du cerveau. (crédit : Emmanuel Claude / Focalize)
Avant de prendre la plume pour l'écriture de son livre, Anna Vassileva a lu un grand nombre d'ouvrages sur le sommeil et le fonctionnement du cerveau. (crédit : Emmanuel Claude / Focalize)
Comment avez-vous fait pour imaginer la société de 2054, période à la fois lointaine et proche ?

J’ai voulu imaginer comment serait le monde quand mon fils aura l’âge que j’ai maintenant, un monde que je devrais avoir la possibilité de connaitre. J’ai beaucoup lu de livres et d’articles scientifiques ou de science-fiction. Je me suis inspirée de certaines de mes peurs, avec des questions du type : Comment mon fils va grandir et vivre dans un monde de plus en plus technologique ? Jusqu’où ira le tracking de nos données de santé ? J’ai imaginé l’usage futur de technologies qui existent déjà ou sont en cours de développement. Potentiellement, tout ce que je décris est possible. La question clé pour imaginer le futur est « et si… ? »

« J’ai abordé l’écriture de mon livre comme on gère un projet.»

[ Anna Vassileva ]

Pourquoi avez-vous choisi d’écrire une dystopie ? Sur quoi avez-vous voulu alerter ?

Il y a des choses qui me font peur et que j’avais envie de creuser. En tant que lectrice, la dystopie est mon genre préféré car il ouvre des perspectives sur le futur. Je trouve que l’imaginaire est un bon moyen de faire prendre conscience et d’alerter sur certains sujets. La fiction est plus accessible au grand public que les rapports scientifiques. Le point de départ de mon livre, comme je l’ai dit, était un mix de questionnements. Je souhaitais que le lecteur se pose aussi des questions tout en passant un bon moment. Et je ne veux en aucun cas donner des réponses ou être moralisatrice. Je souhaite que le lecteur amorce sa propre réflexion. Mon but n’était pas de délivrer une opinion toute faite mais d’éveiller la curiosité chez les lecteurs

Dans votre livre, il est question d’intelligence artificielle. Quel regard portez-vous sur sa montée en puissance ?

J’ai été très impressionnée par une expérience menée par le journal Nouvel Obs, en mars 2025. Ils ont proposé à Hervé Letellier, prix Goncourt 2020 avec son roman L’anomalie, de se mesurer à une IA générative pour l’écriture d’une nouvelle, avec première et dernière phrase imposée ainsi que nombre de signes. Une fois l’exercice terminé, il s’est avéré que les deux textes étaient de qualité équivalente, et que le texte écrit par l’IA était très inventif de l’aveu même d’Hervé Letellier. L’IA a ensuite été mise au défi de distinguer le texte écrit par la machine et celui écrit par le Goncourt. Or, elle a attribué à l’intelligence artificielle le texte d’Hervé Letellier. Ce qui veut dire que les frontières deviennent ténues et que l’intervention de la machine devient indétectable. J’ai réalisé avec cette expérience qu’un bouleversement énorme était déjà à l’œuvre. Je pense que cela peut légitimement générer beaucoup de craintes, notamment pour les métiers créatifs. Je trouve que l’IA devrait faire à la place des humains des tâches ennuyeuses ou pénibles plutôt que de nous remplacer sur des activités créatives qui sont gratifiantes pour l’Homme.

« Je souhaitais que le lecteur se pose des questions tout en passant un bon moment. »

[ Anna Vassileva ]

Voyez-vous votre livre comme un produit ou une œuvre artistique ?

Les deux en fait. C’est d’abord une œuvre artistique évidemment. Maintenant que je suis en phase de promotion, je prends davantage conscience que mon livre est aussi un produit, qui doit être attractif pour les lecteurs. Avant cette phase, la dimension créative était prédominante.

Comment fixe-t-on le prix d’un livre ?

Ce n’est pas l’auteur qui décide. L’éditeur fixe un prix plancher qui doit couvrir le prix du papier et la rémunération de la chaîne de valeur, c’est-à-dire l’auteur, l’éditeur, l’imprimeur, les plateformes digitales de distribution, les librairies physiques et d’autres intermédiaires. L’auteur peut toujours choisir de vendre plus cher mais ce n’est pas forcément intéressant car il faut rester abordable pour les lecteurs.

Il faut savoir qu’il existe plusieurs types de mode d’édition. Lorsque l’on publie à compte d’éditeur, celui-ci assume les frais de production et de promotion du livre et vous verse des droits d’auteur. Lorsque l’on publie à compte d’auteur, l’auteur perçoit une partie des bénéfices des ventes mais il doit aussi assumer l’ensemble des frais afférents, dont les services de la maison d’édition. Personnellement, j’ai choisi une troisième voie : l’auto-édition. Pour cela, j’ai fait appel à Librinova, une plateforme créée par deux entrepreneuses françaises issues du monde de l’édition et qui proposent une formule dans laquelle l’auteur conserve tous ses droits. Le principe repose également sur l’absence de stock et l’impression à la demande, assortie de services à la carte que l’auteur choisit librement Librinova vérifie la mise en page, imprime à la demande, s’occupe de la distribution et de la relation avec les plateformes de ventes et dépose le livre à la Bibliothèque nationale pour le protéger.  Depuis l’été 2025, les livres édités avec Librinova ne sont plus seulement disponibles pour le réseau des librairies de France métropolitaine, mais également pour les départements d’outre-mer et la francophonie (Belgique, Suisse, Luxembourg et Canada) par le biais de grandes enseignes et des librairies indépendantes.

Pouvez-vous partager vos bonnes pratiques concernant la promotion commerciale de votre livre ?

Le premier conseil que je peux donner est d’être présent sur les réseaux sociaux. Instagram est incontournable et permet de créer une communauté. Dans mon cas LinkedIn était aussi une bonne option car j’y avais déjà un vaste réseau du fait de ma carrière antérieure dans le conseil. Je ne me mets pas de pression particulière mais je pense qu’il faut poster régulièrement (des événements futurs, des photos avec des lecteurs, des anecdotes, etc.) car l’auteur devient l’image de marque de son livre.

Ce que j’ai appris de plus important depuis la sortie de mon livre, est qu’il faut oser frapper aux portes, pas seulement des librairies mais de toutes sortes d’acteurs, pour proposer des opérations de dédicaces, des partenariats, des lectures, des workshops, etc. La plupart des gens sont très accueillants pour ce type de démarches. Il faut donc dépasser nos propres freins et peurs. L’impulsion de départ est à donner soi-même, il faut se lever de sa chaise, prendre son téléphone et agir. Il ne faut pas avoir peur, le seul risque étant qu’on nous dise non. Puis vient l’effet boule de neige, une initiative en entraînant une autre. Je dirais que la proportion est d’environ 80% de démarches de mon initiative pour 20% de contacts venus spontanément de l’extérieur grâce au bouche à oreille. Il ne faut pas hésiter à parler de soi, à dire ce que l’on fait, dans tout type de circonstances. Les opportunités peuvent surgir là où on ne les attend pas. J’ai toujours mon livre sur moi, qui sait, si je rencontre un réalisateur ou un producteur ?

Une partie de mon temps consiste aussi à repérer tous les événements organisés en Grande Région autour des livres, festivals, salons, etc. et de vérifier les conditions de participation.

Avec le recul, quel a été le meilleur moment de cette aventure littéraire ?

J’ai adoré la recherche et la collecte d’informations, puis faire vivre tout cela à travers mon récit. En fait, j’ai aimé toutes les phases sauf la relecture et les corrections qui sont un peu rébarbatives et surtout vertigineuses car j’ai réalisé que je pouvais avoir la tentation d’améliorer mon texte à l’infini. J’ai suivi une technique de relecture. D’abord vérifier la logique de l’histoire . Y-a-t-il des erreurs dans l’intrigue ? Est-ce que cela est trop détaillé ou pas assez ? Puis j’ai lu à voix haute et corrigé certains passages pour vérifier le rythme, la musicalité. Enfin, j’ai fait une recherche textuelle dans word pour voir la fréquence d’apparition de certains mots et en remplacer certains qui revenaient trop souvent.

Je dois partager un conseil que j’ai moi-même reçu. Entre le moment ou on écrit le mot « fin » et la première relecture que l’on fait, il faut laisser passer au minimum 2 à 3 semaines. Pendant ce temps-là, on peut confier le livre à un cercle restreint de personnes très proches, les tous premiers lecteurs. Leur regard neuf est précieux et indispensable.

Anna Vassileva a abordé l'écriture de son roman comme un projet. Pour la construction de son récit, elle a utilisé l'outil de mind mapping EdrawMind, afin d'organiser et de structurer ses idées de manière visuelle, sous la forme d'un diagramme arborescent. (crédit : Emmanuel Claude / Focalize)
Et maintenant, quelles sont vos perspectives ?

Pour le moment, Sang sommeil m’occupe encore beaucoup. La phase de promotion dure environ un an et j’ai encore bien des rêves de projets pour lui (traduction en anglais, adaptation en BD ou autres…). Par la suite, je souhaite continuer à écrire. J’ai le choix entre m’attaquer à une suite ou écrire une autre dystopie dont j’ai déjà l’idée. Mais en fait je ne veux pas m’enfermer dans un seul genre littéraire et j’ai décidé de me lancer dans une biographie, celle d’une personnalité du Luxembourg que j’ai découverte récemment et pour laquelle j’ai eu un coup de cœur. Dans une biographie, il y a moins d’imagination mais plus de recherches, il faut creuser une époque, enquêter, rencontrer des descendants, fouiller. C’est un autre type d’amusement, on apprend des nouvelles choses et cela est un moteur très puissant pour moi avec le fait de prendre du plaisir dans le processus de création bien sûr.

Merkur Magazine

L’ÉDITION AUTOMNE
2025
EST DISPONIBLE!