La co-fondatrice de la chaîne de restaurants Chiche ! livre sa recette pour « réussir les débuts de son entreprise », thème central de l’événement Entrepreneurs’ Days organisé, mercredi 21 mai, par la House of Entrepreneurship de la Chambre de Commerce. Avant ce riche partage d’expérience, Marianne Donven nous a reçus dans l’un de ses six restaurants, celui du Limpertsberg. Au menu : ses débuts, ses « toutes premières fois ».
Le fruit du hasard : le jour même où Marianne Donven nous a conviés à sa table, elle mettait un point final à sa carrière professionnelle au service de l’État : « Ma démission est actée depuis ce matin », clarifie-t-elle sans éprouver le moindre regret. Une simple régularisation, en somme, qui conclut une longue période de congé sans solde.
Marianne Donven a épousé la cause des « populations vulnérables » à la faveur de ses déplacements dans les zones les plus précaires du monde. Ses missions humanitaires, menées sous l’égide du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération à partir de 2005, ont nourri une personnalité bienveillante et développé son empathie pour les « autres » : « Il y a tellement à apprendre lorsqu’on croise la route de personnes qui survivent avec presque… rien ».
Marquée par ces parcours de vie douloureux, elle a trouvé un sens à sa… vie : épauler les réfugiés qui ont échoué, en masse, sur les terres du Luxembourg en 2015. Pour y parvenir, cette bénévole de la Croix-Rouge luxembourgeoise a emprunté la voie entrepreneuriale. Chiche !, en passe de devenir un poids lourd de la restauration, emploie exclusivement des migrants. Un business plan à son image, où l’intérêt personnel passe après celui des « autres ».
De par mes fonctions et mon rôle au sein de la Croix-Rouge, j’étais en contact régulier avec des réfugiés. Il m’est rapidement apparu que l’un des moyens pour les remettre en selle et les sortir de l’oisiveté liée à leurs conditions passerait par le travail. Mon choix s’est alors naturellement orienté vers la restauration. Dans ma jeunesse, j’ai travaillé dans des restaurants. J’adore le contact avec les gens et j’aime l’idée de réunir, dans un même endroit, des personnes originaires de tous horizons.
Ma première recrue, c’est une jeune femme qui se nomme Albana. Lors de notre rencontre, elle était vide, sans espoir. Je me souviendrai toujours de ses premiers mots : « Madame, je ne suis personne mais j’adore cuisiner. » Son discours m’a touché et séduit. Aujourd’hui, Albana fait toujours partie des effectifs. Elle est cheffe d’équipe, pleine d’énergie et a su s’imposer dans un environnement masculin. S’agissant de mes critères d’embauche, deux me viennent à l’esprit. Le premier, c’est la situation personnelle du demandeur. Est-ce qu’il a des enfants ? Est-ce qu’il peut se retrouver à la rue ? Je croule sous les CV de personnes qui ont besoin de régulariser leurs papiers, alors il faut bien que je sélectionne selon l’urgence de chacun. Le second critère relève de la motivation du postulant. Hélas, certains réfugiés ont perdu la flamme. L’asile, ça tue… J’ai besoin que le restaurant fonctionne.

Plus qu’une ambition, c’était et cela demeure même presque une obligation. Je suis vraiment sous pression, tellement de gens me supplient d’avoir un contrat. Dans mon cas, je réagis à des besoins et non à des réflexes d’entrepreneur. Après notre première ouverture au centre-ville, nous projetions une autre implantation dans le sud, à Esch. Le Covid est arrivé, on a trouvé un local et on s’est quand même lancé. Ce qui nous attirait dans ce projet, c’était aussi la possibilité de profiter de 8 chambres situées au-dessus de la cellule commerciale et des logements d’une maison voisine. Pour avoir de la productivité, il faut bien dormir la nuit. On a pu loger les employés, on a ouvert quand on le pouvait et finalement, comme pour les autres affaires, la clientèle est au rendez-vous.
Je suis très fière d’avoir aidé des personnes rencontrées à des moments difficiles de leur vie. Je ne parle pas que des 77 salariés actuels mais de tous ceux qui sont passés par nos restaurants. Je pense à ce Pakistanais qui a décroché un BTS en logistique avec la mention excellent. Ou encore à cette femme ukrainienne, assistante dentaire dans son pays qui a retrouvé un travail similaire au Luxembourg après une parenthèse chez nous.
« J'aimerais que le Groupe Chiche ! perdure après mon départ »
[ Marianne Donven ]
Avant Chiche !, j’avais co-fondé avec un réfugié syrien une autre enseigne, baptisée Syriously. Il détenait la moitié des parts. Dans sa culture, c’est l’homme qui décide et pas la femme. Il avait du mal à m’écouter. Cela a constitué une grosse déception, on avait fait ça pour l’aider.
De grandir en fonction de ses propres moyens. De commencer humblement, en limitant au maximum le recours aux crédits. C’est cette recette qui a permis à Chiche ! de se développer. Nous n’avons jamais eu l’ambition de faire de grands pas. Autre conseil : tester son produit auprès de la clientèle. En matière de restauration, cela peut se réaliser via des petits points de vente pour lesquels l’investissement demeure modeste. D’une manière générale, le principe des pop-ups est une parfaite voie d’expérimentation.
J’aimerais que le Groupe Chiche ! perdure après mon départ. L’idée de le transmettre aux personnes avec qui je travaille fait également son chemin. Nous avons déjà créé des sociétés, Fattouch et Baklava, pour les restaurants situés à Bonnevoie et au Mudam. Là, des salariés ont déjà des parts. Sinon, nous sommes encore en phase d’expansion. Des discussions sont en cours pour acquérir un nouveau fonds de commerce entre Luxembourg et Ettelbruck. Cela constituerait notre septième restaurant. Et surtout, cela nous permettrait… d’embaucher.