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Démographie : le paradoxe luxembourgeois
The economy
29 octobre 2025

Démographie : le paradoxe luxembourgeois

Couple de personnes âgées en promenade dans un parc

En Europe, l’espérance de vie a gagné plus de cinq ans depuis 1990 pour atteindre 81 ans aujourd’hui . (crédit : getty-images for unsplash)

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Auteur Hugo Veynand, Affaires économiques, Chambre de Commerce

Les changements démographiques bouleversent les équilibres économiques mondiaux : après deux siècles de croissance exponentielle, la population mondiale devrait amorcer son déclin d’ici la fin de ce siècle. Le continent européen’, précurseur de la transition démographique et du vieillissement de la population fait aujourd’hui face à des conséquences majeures sur le marché du travail et les systèmes de retraite. Le Luxembourg fait figure de paradoxe : sa démographie est encore dynamique, portée notamment par l’immigration, mais il est pourtant le pays où le coût du vieillissement risque de peser le plus lourd sur les finances publiques.

La démographie mondiale entre dans une phase inédite de son histoire. Après être passée de 2,5 milliards d’habitants en 1950 à plus de 8 milliards aujourd’hui, la population mondiale devrait atteindre un pic autour de 10 milliards vers 2080, avant d’entamer un déclin, pour la première fois, selon un scénario médian de l’ONU. Ce renversement est d’autant plus marquant qu’il contredit des décennies de projections qui anticipaient une croissance continue de la population mondiale. Le Japon illustre de manière frappante cette bascule : sa population, d’environ 123 millions d’habitants en 2025, pourrait être divisée par deux à l’horizon 2100.

Cette inflexion trouve son origine dans la chute rapide des taux de fécondité. Initialement amorcée par l’Europe et l’Amérique du Nord, cette transition démographique s’est désormais
généralisée : l’Asie est, à son tour, passée sous le seuil de renouvellement des générations (fixé à 2,1 enfants par femme) et seule l’Afrique demeure encore au-dessus avec près de 4 enfants en moyenne.

La population mondiale devrait atteindre un pic autour de 10 milliards vers 2080 avant d’entamer un déclin, pour la première fois, selon un scénario de l’ONU.

Résultat : les pyramides des âges s’étrécissent progressivement, perdant leur forme traditionnelle. Le vieillissement généralisé est accentué par l’allongement de l’espérance de vie.

L’Europe face au vieillissement accéléré

Dans les années 1970, les femmes européennes avaient en moyenne 2,5 enfants ; en 2013, ce taux était déjà tombé à 1,5 et il n’était plus que d’1,38 en 2023.
À cela s’ajoute la hausse continue de l’espérance de vie, qui a gagné plus de cinq ans depuis 1990 pour atteindre aujourd’hui environ 81 ans en moyenne dans l’Union européenne.
Nous assistons désormais à l’entrée des générations du baby-boom – nées après la Seconde Guerre mondiale – dans le grand âge. Ce basculement démographique se reflète dans la structure par âge : la part des personnes de 65 ans et plus est passée de 14% en 1990 à 21,6% en 2024 et pourrait dépasser 30% d’ici 2050.

Le ratio de dépendance des personnes âgées, défini comme le nombre de personnes de 65 ans et plus rapporté à la population âgée de 15 à 64 ans, était d’environ 26% dans l’Union européenne en 2001, et atteignait 33,9% en 2024 selon la Commission européenne. Les projections suggèrent qu’il pourrait monter à environ 56% d’ici à 2050 – c’est-à-dire moins de deux personnes en âge de travailler pour chaque senior, dans un scénario démographique « de base ».

Les projections suggèrent qu’il pourrait y avoir moins de deux personnes en âge de travailler pour chaque senior, en Europe, à l’horizon 2050.

Ce ratio doit être pris comme un indicateur démographique. Il ne reflète pas directement le nombre réel d’actifs finançant les retraites, qui dépend aussi des taux d’emploi, de l’âge effectif de départ à la retraite et de la participation des femmes au marché du travail. Il illustre néanmoins l’ampleur du défi démographique auquel l’Europe doit faire face.

Cette transition et ses effets sont particulièrement marqués dans des pays comme l’Italie, où la fécondité est tombée autour de 1,2 enfant par femme, ce qui accélère la contraction de la population active et accroît la pression sur les systèmes de financement des retraites.

 Le paradoxe luxembourgeois

Alors que de nombreux pays européens font face à un vieillissement rapide et à une stagnation démographique, le Luxembourg continue d’afficher une population en croissance avec un âge médian parmi les plus bas d’Europe. Le pays a franchi le seuil des 680.000 habitants en 2024 et sa population pourrait atteindre 850.000 d’ici 2050. Cet élan ne doit toutefois rien à la natalité : la fécondité des résidentes, autour de 1,25 enfant par femme, reste très en-deçà du seuil de renouvellement des générations et de la moyenne européenne. La croissance repose en grande partie sur l’apport migratoire net, de l’ordre de 10.000 personnes par an au cours de la dernière décennie, et sa population active est dynamisée par la présence de plus de 230.000 frontaliers qui rejoignent le pays chaque jour.

Le Luxembourg, qui bénéficie aujourd’hui d’une démographie dynamique, est aussi celui qui devrait connaître le plus fort renchérissement du coût des pensions dans l’Union européenne.

Cette configuration a jusqu’ici assuré la soutenabilité du régime de retraite, avec un ratio encore favorable d’environ 2,3 actifs pour un retraité en 2022, mais que les projections estiment devoir tomber à 1,5 vers 2050. C’est ici que le paradoxe apparaît : le pays, qui bénéficie aujourd’hui d’une démographie dynamique, est aussi celui qui devrait connaître le plus fort renchérissement du coût des pensions dans l’Union européenne. Selon le Ageing Report de la Commission européenne de 2024, les dépenses publiques en lien avec les pensions passeraient de 9,2% du PIB en 2022 à 17,5% en 2070, soit un record européen.

L’OCDE tire le même signal d’alarme : elle souligne qu’il faudra passer d’une croissance reposant sur l’augmentation rapide de la population active à un modèle fondé sur les compétences et l’innovation, tout en préservant la viabilité du système de retraite. Selon ses projections, le nombre de retraités triplera d’ici 2070. Pour maintenir le système actuel, les taux de cotisation devraient doubler entre 2040 et 2070.

 

Monsieur âgé utilisant un ordinateur
Le Luxembourg devra réinventer son modèle et notamment faire évoluer l’âge effectif de départ en pension, s’il veut assurer l’équilibre de ses dépenses publiques. (crédit : Vitaly Gariev / Unsplash)

La situation tient en partie aux caractéristiques du système luxembourgeois : un taux de remplacement élevé (pourcentage du dernier salaire que les individus perçoivent une fois à la retraite, ndlr) et un âge effectif de départ à la retraite le plus bas d’Europe, autour de 60 ans en 2022.

Parallèlement, plusieurs facteurs fragilisent l’attractivité du pays et donc son dynamisme démographique: le coût élevé du logement, le ralentissement économique récent et la stagnation de la productivité du travail depuis 2010 qui a même légèrement reculé selon le Conseil national de la productivité. À cela s’ajoutent des infrastructures de transport saturées malgré des investissements massifs et une concurrence accrue des pays voisins pour attirer les mêmes talents. Ces défis risquent de limiter la capacité du Luxembourg à continuer de s’appuyer sur la migration pour compenser sa faible natalité. À terme, le secteur même de la santé et de l’aide aux personnes âgées, aujourd’hui largement soutenu par la main-d’œuvre frontalière, pourrait se trouver en tension, car les pays voisins connaissent eux-mêmes un vieillissement rapide et une pénurie de soignants.

Le Luxembourg, longtemps porté par sa capacité à attirer et intégrer de la main-d’œuvre étrangère, devra adapter son modèle économique et social pour faire face à un vieillissement qui, malgré des bases démographiques plus favorables qu’ailleurs aujourd’hui, risque d’être l’un des plus coûteux d’Europe.

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