Cette question a constitué le thème de l’édition 2025 de la Journée de l’Économie qui s’est tenue à la Chambre de Commerce le 24 mars dernier.
Cette journée a été l’occasion pour la Chambre de Commerce de mettre en avant le potentiel de l’intelligence artificielle (IA) pour l’économie luxembourgeoise et de présenter les premières orientations stratégiques issues de son Groupe de travail pour faire du Grand-Duché un « AI hub » européen.
L’IA comme levier de productivité
Le rapport Draghi sur la compétitivité de l’Union européenne (UE) pointe l’écart croissant de PIB entre cette dernière et les États-Unis, la Chine ayant rattrapé son retard en quelques années. L’écart de PIB entre l’UE et les États-Unis, aux prix de 2015, s’est progressivement creusé, passant de légèrement plus de 15% en 2002 à 30% en 2023. En parité de pouvoir d’achat, l’écart était de 12% en 2023, comparé à 4% en 2002 (en faveur de l’UE). Ce décalage s’explique en grande partie par un retard en matière d’innovation, notamment dans les technologies de pointe. Aujourd’hui, sur les cinquante plus grandes entreprises technologiques mondiales, seules quatre sont européennes (ASML, SAP, Siemens et Schneider Electric).
Réduire cet écart est crucial pour permettre à l’Europe d’assurer une croissance durable et de gagner en productivité. Le cabinet de consulting McKinsey estime que l’IA apporterait une croissance du PIB des pays développés de 1,5 à 3,4% par an sur la prochaine décennie. Des analystes de la banque Goldman Sachs anticipent une augmentation de 7% du PIB mondial annuel grâce à l’IA générative. Le niveau stratosphérique des fonds alloués à l’IA est à la hauteur des retours sur investissement escomptés. L’initiative InvestAI lancée en février par la Commission européenne vise à mobiliser 200 milliards d’euros pour des investissements dans l’IA, y compris un fonds européen de 20 milliards d’euros pour des giga-usines d’IA. De son côté, le président français Emmanuel Macron a annoncé des investissements à hauteur de 109 milliards d’euros en France, soit l’équivalent, rapporté à la population, des 500 milliards du Stargate Project américain.
Diversifier les sources de financement de l’IA
En Europe, les entreprises innovantes peinent à se développer en raison notamment de difficultés d’accès aux financements, certaines partant outre-Atlantique pour accéder plus facilement et rapidement à des capitaux abondants. Pour accélérer l’innovation et la croissance sur le continent européen, il est impératif de diversifier les sources de financement et de libérer le potentiel de l’investissement privé. Pour les startups ambitieuses qui veulent grandir en Europe, l’accès à un éventail complet de solutions de financement – du capital-risque au private equity – est une condition essentielle pour rivaliser à l’échelle mondiale et faire avancer le progrès technologique. À ce titre, la Stratégie de l’Union européenne de l’épargne et des investissements publiée le 19 mars dernier, visant à faciliter l’accès des ménages aux marchés des capitaux et à améliorer les possibilités de financement pour les entreprises, est à saluer et constitue une étape qui va dans le bon sens.
Le Luxembourg devrait également mettre en place des « bacs à sable » (sandboxes) réglementaires attractifs, afin de se positionner comme un hub européen de référence pour les tests en matière d'IA.
Fort de son expertise financière et de sa main-d’œuvre internationale, le Luxembourg a des atouts certains pour capter des capitaux internationaux et ainsi renforcer sa place dans le flux des entreprises qui s’implantent en Europe. Afin de passer à la vitesse supérieure, il est important de faciliter les investissements privés dans le capital-risque et le private equity via, par exemple, la mobilisation des régimes de retraite du deuxième pilier ou encore la mise en place de fonds d’investissement homologués par le gouvernement luxembourgeois sur le modèle de l’initiative française TIBI . D’autres mesures telles que le développement de co-financements publics-privés ou l’augmentation du crédit d’impôt pour les investissements directement liés à l’IA sont également des pistes prometteuses.
Centrer la mise en œuvre de l’AI Act sur l’innovation
Sur le plan réglementaire, il s’agit de saisir l’opportunité offerte par la mise en œuvre de l’AI Act–règlement européen sur l’IA – au Luxembourg pour promouvoir l’innovation. La Chambre de Commerce préconise la création d’un écosystème d’autorités nationales compétentes, capables d’accompagner les entreprises de manière exemplaire. Le Luxembourg devrait également mettre en place des « bacs à sable » (sandboxes) règlementaires attractifs, afin de se positionner comme un hub européen de référence pour les tests en matière d’IA. Ces dispositifs, prévus par l’AI Act, visent à lever les barrières réglementaires à l’entrée sur le marché pour les nouveaux produits d’IA. Avec une stratégie ambitieuse en matière de « bacs à sable », le Luxembourg peut devenir la porte d’entrée privilégiée pour les entreprises de pays tiers souhaitant s’implanter dans l’UE et tester la conformité de leurs produits d’IA dans un environnement encadré et sécurisé *.
Capitaliser sur les infrastructures existantes et à venir
Le Luxembourg peut pleinement capitaliser sur ses infrastructures actuelles et futures pour se positionner comme un véritable hub de l’IA. Les entreprises ont tout intérêt à exploiter le potentiel du supercalculateur national Meluxina, pour développer des solutions d’IA souveraines et évolutives à l’échelle nationale, du Benelux, voire européenne. L’acquisition d’un supercalculateur optimisé pour l’IA, baptisé Meluxina-AI, et la mise en place au printemps 2025 d’une AI Factory associée, marque une étape importante dans la consolidation de la position du Luxembourg parmi les leaders du digital en Europe.
Grâce à ses infrastructures souveraines et sécurisées – clouds souverains, centres de données certifiés Tier IV – le Luxembourg dispose d’une base solide pour se positionner sur des secteurs manipulant des données hautement sensibles, tels que la finance, les fonds d’investissement ou encore la santé. Les quatre axes retenus dans le cadre de l’AI Factory luxembourgeoise – finance, espace, économie verte et cybersécurité – sont des choix stratégiques à soutenir activement au niveau national.
Toutefois, pour tenir la distance, il est essentiel que le Gouvernement continue d’investir sur le long terme dans les infrastructures de calcul et de données, tout en sécurisant la chaîne d’approvisionnement en composants stratégiques, comme les unités de traitement graphique (GPU). De plus, le secteur public doit montrer l’exemple en adoptant l’IA et tirer pleinement parti des infrastructures souveraines et sécurisées existantes.
L’IA n’est pas un effet de mode, c’est le socle de la compétitivité de demain. Pour rester dans la course, le Luxembourg doit afficher des ambitions fortes. La nouvelle stratégie nationale sur l’IA, attendue ce printemps 2025, donnera le ton. Au-delà des mesures concrètes qui seront retenues, il sera tout aussi crucial de bien communiquer cette vision, pour mobiliser les parties prenantes, attirer les talents, et affirmer la place du Luxembourg comme acteur incontournable de l’IA en Europe.
* Pour plus d’informations, voir l’avis commun de la Chambre de Commerce et de la Chambre des métiers (6773VKA/XKE)