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Le budget 2026 traduit-il la fin du modèle luxembourgeois ?
The economy
25 novembre 2025

Le budget 2026 traduit-il la fin du modèle luxembourgeois ?

(crédit : Envato)

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Auteur Anthony Villeneuve, Affaires économiques, Chambre de Commerce

Ralentissement économique et dépenses publiques en hausse continue : le projet de budget 2026 inscrit le Luxembourg dans une trajectoire dangereusement expansionniste. La Chambre de Commerce, dans son avis budgétaire, appelle à un recentrage stratégique : maîtriser les dépenses, anticiper les choix politiques, moderniser le cadre budgétaire et renforcer la compétitivité pour préserver la soutenabilité des finances publiques.

Le budget de l’État 2026 est présenté dans un contexte international marqué par la fragilité : tensions géopolitiques, protectionnisme croissant, stagnation des économies voisines et essoufflement du commerce mondial. Pour une économie aussi ouverte que celle du Luxembourg, l’impact est direct. Après une quasi-stagnation en 2024, la croissance ne dépasserait pas 1% en 2025 et 2% en 2026, tandis que le chômage remonte et que la productivité stagne.
Dans ce contexte, on aurait pu attendre du Gouvernement un budget prudent, avec un effort pour contenir au maximum les dépenses de fonctionnement sans renoncer à l’investissement. Pourtant, malgré cette conjoncture morose, les dépenses publiques poursuivent leur ascension, qui peut être qualifiée de vertigineuse. Elles atteindraient 45,5 milliards d’euros en 2026, soit plus de 48% du PIB : un niveau historique, supérieur à celui observé durant la pandémie. Cette dynamique dépasse durablement la croissance réelle de l’économie et alimente une trajectoire durablement expansionniste, insoutenable sur le long terme.

Une divergence persistante entre recettes et dépenses

L’Administration centrale concentre l’essentiel des tensions de court terme. Ses dépenses progressent de 5,7% en 2026, contre 4,9% pour les recettes, générant un déficit de 1,6% du PIB, alors qu’il était attendu à « seulement » 1,2% au moment du vote du budget 2025 il y a un an. Parmi les causes de cette dégradation : l’emploi public. La masse salariale de l’Etat central continue de croître fortement, en hausse de 347 millions d’euros en un an. Depuis le début des années 2020, l’emploi public progresse beaucoup plus rapidement que l’emploi total au Luxembourg et le Gouvernement prévoit de recruter près de 1.600 nouveaux fonctionnaires en 2026, à rebours des annonces d’octobre 2024 de maitrise des engagements.
Les perspectives budgétaires de l’Administration de la sécurité sociale ne sont guère plus favorables. Si la dégradation des comptes sociaux connaîtra un répit temporaire en 2026 du fait de la hausse des cotisations issue du Sozialronn, — un signal toutefois très négatif en termes d’attractivité — la tendance de long terme reste défavorable. Dès 2027, les dépenses liées au vieillissement, à la santé et à la dépendance progresseront beaucoup plus vite que les recettes, conduisant à une situation déficitaire peu après 2029.
Les prestations sociales représentent désormais plus de 41% des dépenses publiques et 20% du PIB, et devraient continuer à augmenter à un rythme très soutenu jusqu’à 20,5% du PIB en 2029. Le Luxembourg commence à payer le coût du vieillissement de la population. Et ce n’est que le début. Selon les projections européennes, le pays connaîtrait d’ici 2070 la plus forte hausse de dépenses liées au vieillissement de l’Union européenne, à politique inchangée.
Une perspective susceptible de dégrader significativement les comptes publics si rien n’est fait d’ici là. Il est encore temps d’agir, d’autant que le pays se distingue pour l’instant de ses voisins par un endettement relativement faible. Toutefois, si la dette publique reste contenue (27% du PIB en 2026), son coût explose : il triplera entre 2024 et 2029 sous l’effet de la remontée des taux, passant de 265 à plus de 730 millions d’euros annuels. Elle pourrait aussi franchir la barre symbolique des 30% du PIB dès 2029 si la croissance se révélait un peu moins soutenue qu’attendu.

Des choix politiques coûteux

Dans son avis, la Chambre de Commerce s’interroge surtout sur la fiabilité des projections budgétaires qui sont présentées pour les années 2027 à 2029. En effet, celles-ci ne tiennent pas compte de deux choix politiques majeurs qui seront particulièrement coûteux. D’abord l’individualisation de l’impôt, prévue pour entrer en vigueur en 2028 et dont le coût est estimé à 850 millions d’euros par an. Ensuite, la progression de l’effort de Défense pour atteindre 3,5% du RNB en 2035 pour les strictes dépenses de Défense et 5% du RNB en y intégrant les dépenses de sécurité au sens large. Sur la seule période 2027-2029, ce sont plus de 750 millions d’euros supplémentaires qu’il faudrait dépenser pour lisser l’investissement dans la Défense jusqu’en 2035.
Comment le Gouvernement compte-t-il financer ces choix politiques ? De la réponse à cette question dépendra la trajectoire budgétaire future du Luxembourg. L’enjeu n’est pas de réduire le rôle de l’État, mais d’ajuster son rythme de croissance à celui de l’économie réelle — condition indispensable pour préserver le modèle social, la compétitivité et la stabilité financière du Luxembourg.

Objectif : compétitivité

Même si le Gouvernement parvenait à enrayer l’inflation des dépenses dans les prochaines années, la soutenabilité des finances publiques luxembourgeoises dépendra également de la capacité du pays à retrouver une croissance économique dynamique. En ce sens, le budget confirme plusieurs mesures favorables aux entreprises : stabilité du cadre fiscal, investissements dans la finance durable, soutien à la digitalisation … Si ces ajustements vont dans le bon sens, ils ne permettent pas encore de combler l’écart compétitif avec d’autres économies européennes, notamment des concurrents directs pour la Place financière luxembourgeoise. D’autant que la progression des cotisations sociales va encore alourdir le désavantage compétitif du Luxembourg en matière de coût du travail.
En revanche, la Chambre de Commerce salue l’effort engagé en faveur de l’innovation, avec des dépenses en progression de plus de 50% pour le Fonds de l’innovation. L’innovation est un levier essentiel de productivité, à condition que ces investissements s’accompagnent d’un suivi rigoureux de leur impact réel sur la croissance.

Investissement : des ambitions aux réalisations ?

À saluer également, les ambitions affichées en matière d’investissement : infrastructures de mobilité, logement abordable, transition énergétique et digitalisation. Des engagements indispensables en matière de compétitivité. Reste à transformer cette ambition en réalisation. En effet, la capacité d’exécution demeure un défi récurrent, notamment dans le logement, où les crédits votés peinent à être pleinement engagés. Il est donc indispensable d’optimiser le pilotage de ces investissements à travers une meilleure planification, une simplification des procédures et une implication accrue du secteur privé afin de renforcer l’efficacité des fonds publics.

Le modèle luxembourgeois à l’épreuve du temps

Le budget 2026 révèle moins un dérapage ponctuel qu’une trajectoire structurelle où la dépense progresse plus vite que l’économie réelle, tandis que les pressions démographiques et sociales s’intensifient. La question posée en titre — « Est-ce la fin du modèle luxembourgeois ? » — ne trouve pas encore de réponse définitive. Le modèle peut survivre, mais au prix d’un changement de rythme : réorienter la dépense vers l’investissement, renforcer la compétitivité et restaurer une discipline budgétaire crédible. Ne serait-ce que pour financer ses futures réformes, le Gouvernement ne semble avoir d’autre choix.

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