Une armée qui se modernise, un écosystème entrepreneurial en phase de structuration, un gouvernement qui rompt avec une longue tradition d’austérité financière… À l’aube d’une ère nouvelle, le Luxembourg organise sa Défense. La période s’annonce incertaine, tant ce changement profond de stratégie draine son lot d’inconnus. Mais la nation s’avance également avec des certitudes. Elle dispose notamment de trois pôles d’expertise qui font d’elle un allié précieux, sinon incontournable, au sein de l’UE et de l’Otan.
Un petit pays qui a la tête dans les étoiles. Même si l’information est depuis longtemps de notoriété publique, il est toujours bon (et stupéfiant) de rappeler que le Luxembourg occupe une place de leader mondial dans le domaine spatial. Premier pays européen à adopter une loi sur l’exploitation des ressources spatiales en 2017, juste après les États-Unis, le Grand-Duché s’inscrit sur une orbite résolument tournée vers le développement économique. La création, dans la foulée, de la Luxembourg Space Agency (LSA) en 2018 va dans le même sens.
Cette stratégie pro-business se mesure, en 2024, par un secteur fort de 80 entreprises, autour duquel gravitent 1.400 emplois. Ce dynamisme entrepreneurial constitue un socle solide pour fédérer des projets de très grande envergure. Fondé en 2015 sous forme de joint-venture entre l’État luxembourgeois et SES, l’un des plus grands opérateurs satellitaires au monde, LuxGovSat relève de cette catégorie.
« GovSat-2? Nous sommes en train de finaliser le projet de loi que nous souhaitons déposer sous peu »
[ Yuriko Backes, ministre de la Défense ]
Cette initiative stratégique s’est traduite par le lancement du satellite de communication GovSat-1 en 2018. Les capacités techniques de cet astronef garantissent la fourniture de services de communication sécurisés pour des usages gouvernementaux, militaires et institutionnels. Preuve de son succès, la majorité des ressources techniques du satellite sont déjà allouées à des clients ou partenaires pour des missions spécifiques. La bande-passante, qui correspond au volume de données que le satellite peut transmettre, s’approche ainsi de sa limite. Ce constat pousse le gouvernement luxembourgeois à envisager la mise en orbite de GovSat-2 : « Nous sommes en train de finaliser le projet de loi que nous souhaitons déposer sous peu », nous a confié avant l’été Yuriko Backes, ministre de la Défense.
L’investissement s’annonce considérable : le budget de la Défense 2025 prévoit une première enveloppe de 105 millions d’euros pour ce seul projet. Cette dépense se justifie toutefois aisément : elle vise à conforter la crédibilité de la Défense luxembourgeoise dans le domaine spatial. Et accessoirement, elle envoie un signal positif à l’Otan. Plus que jamais, l’organisation réclame des actes à ses membres et ne se contente plus de promesses.
Après l’Espace, le Grand-Duché se distingue dans un autre champ à haute valeur technologique. Engagé dans une course à l’innovation, le Luxembourg a fait de la cybersécurité en général, et de la cyberdéfense en particulier, un pilier stratégique de sa souveraineté numérique, de sa sécurité et résilience nationale et de son développement économique. Pour contrer des menaces de plus en plus vives sur le terrain cyber, le pays dispose, avec le Luxembourg Cyber Range, d’une plateforme d’entraînement de premier plan pour simuler des cyberconflits, former des experts et tester des technologies.
Une autre capacité complète l’offre luxembourgeoise : le Luxembourg Cyber Defence Cloud (LCDC). Ce projet phare est doté d’un budget de 250 millions d’euros sur 12 ans (2024-2035). Points forts de cette future infrastructure : un environnement cloud hautement sécurisé, hébergé au Luxembourg et capable de stocker des données sensibles ou classifiées. Ce véritable sanctuaire informatique pourra servir de rempart à d’autres acteurs étatiques nationaux ainsi qu’aux membres de l’Otan et de l’UE.
Cyber Fortress : l'art de simuler une crise
Organisé à Belval depuis 2021, Cyber Fortress est le principal exercice luxembourgeois de cyberdéfense, réunissant des équipes civiles et militaires de plusieurs pays européens. L’édition 2025 a mis l’accent sur la protection des services informatiques liés aux opérations de drones, tout en intégrant des volets de désinformation, fake news et deepfakes. Grâce à la plateforme Luxembourg Cyber Range, les participants ont testé leur coordination, leur réactivité et leur capacité à gérer des crises hybrides.
Enfin, et sans surprise, la troisième arme de séduction massive du Luxembourg est celle qui lui assure sa renommée à travers le monde : sa Place financière, qui gère plus de 5.000 milliards d’euros d’actifs. Ce n’est pas un hasard si la Chambre de Commerce s’est fendue de cette observation préalable dans son rapport Lux4Defence : « La Place financière a une responsabilité majeure : canaliser les financements vers les industries stratégiques européennes et assurer un soutien efficace aux projets industriels essentiels ».
Evoqué par le Premier ministre Luc Frieden lors de son discours sur l’État de la nation, le lancement d’un emprunt public national – qui se caractérise par l’émission d’obligations (titres de dette) – transitera nécessairement par le centre financier luxembourgeois. Rediriger des flux de capitaux privés vers des fonds ou des projets liés à la Défense pourrait constituer une autre stratégie payante. À ce titre, l’introduction en mai dernier d’un fonds dédié à l’industrie de la défense par une société de capital-investissement, basée au Luxembourg, a valeur d’exemple.





