Interviewer ispace Europe, c’est ouvrir une fenêtre sur le futur et faire reculer les frontières de l’exploration humaine dans l’espace. Si, comme pour nous, cela vous semble lointain ou abstrait, faites confiance à votre imagination et découvrez avec nous un monde de perspectives, vaste comme l’espace.
En amont de la mission économique consacrée au secteur spatial, organisée par la Chambre de Commerce à Tokyo et Osaka du 12 au 18 juillet 2025, Merkur a demandé à la société ispace Europe, qui fera partie de la délégation, de lever le voile sur ses activités et ses aspirations. C’est Charlotte Nassey, Senior Government Affairs & Policy Officer, qui nous a reçus dans les locaux de l’entreprise à Hollerich, où se trouvent des bureaux, un laboratoire, ainsi qu’un espace de test.
À l’origine de la société ispace se trouve un concours organisé par la fondation américaine XPRIZE, parrainé par Google, qui appelait des équipes financées par des fonds privés à être les premières à poser un engin spatial robotisé sur la Lune, à parcourir 500 mètres et à transmettre à la Terre des vidéos et des images haute définition. Une équipe japonaise, la Team Hakuto, fut l’une des finalistes de ce concours, qui s’est finalement avéré trop ambitieux puisqu’aucune des équipes n’a réussi la mission dans les temps impartis. Il s’agissait à cette époque d’alunir en 2014 au plus tard. Toujours est-il que Takeshi Hakamada, qui dirigeait l’équipe et qui est fasciné par l’univers Star Wars depuis l’enfance, a décidé de consacrer sa vie à la recherche spatiale et à l’exploration de la Lune. Il a fondé la société ispace inc. en 2010 pour poursuivre les travaux en vue de parvenir à alunir et à débarquer sur la Lune un engin capable de collecter des images et échantillons afin d’explorer les ressources qui s’y trouvent. Aujourd’hui, ispace inc. dispose d’un bureau au Japon, d’un autre aux États-Unis et a son siège européen à Luxembourg.
À l’origine ispace est venue s’installer au Luxembourg à la faveur du cadre juridique que le pays a mis en place en 2017 pour encadrer l’utilisation des ressources spatiales. Au-delà de cette initiative qui positionnait clairement le pays comme précurseur en la matière, nous avons trouvé ici un écosystème d’innovation convainquant et des appuis financiers propices à notre développement via le programme LuxIMPULSE – fruit d’une collaboration entre l’Agence Spatiale Européenne (ESA) et la Luxembourg Space Agency (LSA)– qui soutient le développement technologique d’entreprises luxembourgeoises en utilisant des financements luxembourgeois et l’expertise technologique de l’ESA.
Nous pourrions la résumer en quelques mots : « donner un accès régulier à la Lune, pour un coût raisonnable ». Mais en fait, il faut distinguer l’objectif que la société poursuit à long terme et notre activité au quotidien. Notre vision à long terme est de parvenir à créer un écosystème Terre /Lune dans lequel des véhicules pourraient faire la navette entre les deux pour permettre l’acheminement de matériel et installer des bases lunaires à visées scientifique ou économique.
Pour le moment, nous en sommes au stade de l’exploration des possibles. La première étape consiste à arriver sur la Lune et à réussir à s’y poser. Les équipes d’ispace au Japon et aux États- Unis développent à cet effet des alunisseurs, véhicules spatiaux conçus pour voyager dans l’espace, transporter des charges et se poser sur la Lune. Au Luxembourg, nous fabriquons et nous testons des rovers, véhicules de petite taille, équipés de roues adaptées à la surface lunaire, qui peuvent donc s’y déplacer et l’explorer à l’aide de caméras et d’une pelle à l’avant qui collecte des échantillons de sol. Le but de ces explorations est de comprendre l’environnement lunaire (température, qualité de l’atmosphère, propriétés du sol). Nous avons déjà à notre disposition des données existantes publiques et nous les enrichissons de nos propres observations. Nous avons déjà mené deux missions vers la Lune, qui nous ont permis de récolter des informations très utiles. Longtemps, seuls les États ont entrepris ce genre de recherches. ispace figure parmi les rares sociétés privées au monde à investir ce créneau. Pour résumer, notre cœur de métier est l’accès à la Lune et l’exploration de sa surface grâce à nos rovers.
Il est vrai que notre activité implique des investissements à très long terme. Nous avons la chance d’avoir réussi à réunir des investisseurs privés solides sur notre projet. Nous sommes aussi inscrits à la bourse de Tokyo depuis avril 2023, ce qui est une première mondiale pour une entreprise du secteur de l’exploration spatiale.
Dès à présent, nous générons des revenus car nous proposons des services. Toutes les recherches que nous menons ont une valeur. Elles intéressent des secteurs variés dans un spectre large qui va d’industriels à des sociétés d’assurances. Celles-ci peuvent être intéressées par les phases de recherche pure et y participer en finançant en partie ces recherches. Elles peuvent aussi acheter des tickets pour pouvoir transporter de la charge utile sur nos véhicules lors de nos missions vers la Lune. Par exemple, nous « embarquons » des technologies développées sur Terre – il peut s’agir de caméras, de technologies du secteur automobile etc…- et nous les testons et analysons leur comportement dans l’espace et bientôt sur la Lune. Ce service a une valeur car les sociétés clientes y voient la perspective de développer de nouveaux marchés. Leur propre retour sur investissements se matérialise par des résultats de recherche, des développement technologiques et par des retombées en termes d’image.
Au Luxembourg, nous collaborons avec la Luxembourg Space Agency et le Gouvernement et en retour nous obtenons également des financements.
Alunir est un défi technologique très compliqué. ispace mission 2 et d’autres missions commerciales récentes, qui n’ont pas abouti, en sont la preuve. Nous en sommes encore au début de notre campagne de missions d’exploration et donc le risque environnemental est très faible à ce stade. Pour ispace mission 2, nous avons même été volontairement très économes en carburant. Nous avons utilisé la technique consistant à utiliser la force gravitationnelle des planètes pour déplacer l’alunisseur et consommer seulement la quantité de carburant nécessaire pour les « sauts » entre deux forces émises par les planètes. Le voyage effectué ainsi est beaucoup plus long car il nécessite des détours mais il est aussi beaucoup plus économe en ressources et économique car moins de carburant signifie moins de frais.
Ceci dit, la question de notre impact devra être abordée quand nous serons plus avancés dans l’accès à la Lune et que nous aurons plus de données sur l’environnement lunaire grâce à nos observations.

Il est encore un peu tôt pour répondre à cette question. Nous sommes encore en train d’analyser toutes les données. Mais, au terme de cette phase d’analyse, nous partagerons les résultats. C’est dans notre ADN et dans la culture japonaise d’être transparent et responsable. Pour le moment, ce que l’on peut dire est que ispace mission 2 transportait le premier rover européen, fabriqué au Luxembourg. En cela, le Luxembourg a un impact réel sur l’histoire de l’exploration de l’espace. Ce que nous pouvons dire aussi est que le rover était « vivant » tout au long du voyage vers la Lune- il répondait aux sollicitations envoyées vers lui – et était vraisemblablement prêt à opérer. Et ceci est déjà un grand succès et un motif de fierté. Ce rover précurseur restera dans l’Histoire. Nous l’avions baptisé Tenacious par un vote de l’équipe et il portait très bien son nom !
Ce sera ma deuxième participation à une mission économique au Japon. Je faisais déjà partie de la délégation qui s’y est rendue en juin 2024 lors d’une mission exploratoire. Ma motivation cette fois-ci tient beaucoup à la visite de l’Exposition universelle en elle-même. Mais je vois aussi ce déplacement comme une bonne préparation à la célébration des 100 ans de relations diplomatiques entre le Japon et le Luxembourg. Il est très important pour moi d’avoir une compréhension fine de la nature de ce lien. Les deux pays ont beaucoup de chose en commun, surtout dans leur intérêt pour le domaine spatial. Dans le rôle qui est le mien, comprendre les écosystèmes des deux pays et les liens entre les deux Gouvernements peut m’aider à créer de nouvelles opportunités de collaboration.
Contrairement à beaucoup de mes collègues, je ne suis pas tombée dans la passion du spatial dès l’enfance. Pour ma part, c’est au cours de mes études que j’ai découvert cet univers fascinant.
J’ai toujours été attirée par les relations internationales. J’ai orienté mon parcours vers le droit international public et les questions environnementales. C’est dans ce cadre que j’ai découvert, presque par hasard, le droit de l’espace. Immédiatement captivée, j’ai décidé de m’y spécialiser, avant de compléter mon parcours juridique par un master pluridisciplinaire en études spatiales.
Le secteur spatial est, par essence, profondément international. L’exploration spatiale, en particulier, nécessite des ressources considérables : aucun pays ne peut durablement explorer l’espace seul. La coopération internationale est donc une nécessité.
J’ai rejoint ispace Europe il y a trois ans, après plusieurs années passées à l’Agence spatiale européenne (ESA). Ce qui m’a attirée chez ispace, c’est la possibilité d’être au plus près d’une mission spatiale et de contribuer concrètement à sa réalisation. Lorsqu’on n’est ni ingénieure ni scientifique, c’est une opportunité rare.
Aujourd’hui, je travaille à créer des passerelles entre le secteur public et le secteur commercial, pour aligner leurs efforts autour d’objectifs communs. Mon ambition : que l’Europe soit la première à confirmer la présence d’eau sur la Lune !
Je n’avais jamais travaillé avec le Japon avant de rejoindre ispace. Pour une passionnée de relations internationales, apprendre à naviguer sur les différences culturelles au quotidien est une expérience profondément enrichissante. Travailler dans un environnement japonais requiert patience, rigueur et une certaine constance. J’y ai découvert un équilibre fascinant entre structure et subtilité. Les relations se construisent dans le temps, avec prudence et respect mutuel, mais une fois la confiance établie, elle est d’une solidité remarquable.
Le secteur spatial luxembourgeois en chiffres
- 80 entreprises (32 en 2018 et 16 en 2012)
- 1.650 salariés (1.000 en 2018 et 600 en 2012)
- 74% d’augmentation de la valeur ajoutée brute entre 2018 et 2023
- Hors SES cette valeur ajoutée a presque triplé (+150%) entre 2018 et 2023
- Le secteur représente 1,73% du PIB du Luxembourg en 2023