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It’s the economy, stupid! Très chère inaction…
The economy
17 septembre 2025

It’s the economy, stupid! Très chère inaction…

Enrico Letta a tenu un discours fédérateur lors de cette première édition du forum It's the economy, stupid! (crédit : Charly Petit/Chambre de Commerce).

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Face aux bouleversements démographiques, aux défis énergétiques et aux mutations technologiques, la Chambre de Commerce a choisi de poser une question essentielle : quel est le coût de l’inaction ? Pour y répondre, elle a innové en organisant, ce mardi 16 septembre, un forum de rentrée baptisé It’s the economy, stupid! Devant 350 participants, trois figures majeures ont nourri la réflexion : Maxime Sbaihi, Laurence Tubiana et Enrico Letta, accompagnés de panelistes engagés pour penser l’économie comme levier d’action et de souveraineté. Retour sur une première qui restera dans les mémoires.

Démographie: vers une prise de conscience naissante ?

Maxime Sbaihi, spécialisé dans l’étude des tendances démographiques, n’était sans doute pas le plus connu des trois intervenants du jour – ni sa spécialité d’ailleurs. Usant de mots simples pour décrire une mécanique complexe, l’économiste fançais a accompli un véritable exploit : dépoussiérer l’image de la démographie. Et même la remettre à la place qui lui va de droit : celle d’une « mégatendance » qui influe (trop) silencieusement sur les économies mondiales.

Aussi passionnante que préoccupante, la question démographique souffre, aujourd’hui, de ce constat implacable : « Il faut regarder la démographie dans le blanc des yeux : la population mondiale va décliner sur ce siècle », renseigne-t-il avec une légitime pointe de gravité. Tous les indicateurs sont en effet dans le rouge. Le taux de fécondité – soit le nombre moyen d’enfants par femme – a été divisé par deux en moins de six décennies.« Le seuil de renouvellement étant fixé à 2,3 enfants », à moyen terme, l’Afrique, plus précisément la zone subsaharienne, restera le dernier berceau de jeunesse de l’humanité.

Et l’Europe, dans tout ça ? Elle mérite bien son surnom. Le Vieux Continent grisonne, « l’âge médian y est de 45 ans. L’Europe ne croît plus depuis 2012, on recense plus de décès que de naissances. » L’auteur de l’ouvrage Les Balançoires vides parvient à cette conclusion : « C’est le seul continent qui perd déjà de la population active. Il y a de moins en moins d’actifs pour financer de plus en plus d’inactifs. » L’équation se révèle d’autant plus brutale que le coût du vieillissement promet, lui, une addition… « salée ». Régime de retraites, santé, dépendance, éducation : dans la zone euro, le Luxembourg se destine à hériter de la facture démographique la plus élevée, « celle-ci pouvant représenter jusqu’à 11 % de son PIB ».

Certains pays explorent des voies pour ralentir la marche en avant de cette dénatalité : l’Allemagne mise sur l’immigration, le Japon sur la robotisation pour pallier les manques de main-d’œuvre. D’autres élaborent des dispositifs incitatifs pour stimuler la fécondité… « La question qui se pose est la suivante :  agit-on aujourd’hui ou laisse-t-on, avec une certaine forme de lâcheté, la facture aux générations futures ? », interroge Maxime Sbaihi. Un aperçu des conséquences de cette deuxième option se niche peut-être dans le faux journal télévisé de 2050, imaginé par la Chambre de Commerce et projeté en amont de la conférence. A l’image, deux robots annonçaient les nouvelles du jour : une réduction de 15% des pensions, la réserve du régime général des retraites épuisée depuis trois ans et l’examen du… 20e plan de relance de la natalité. Le public a souri. Mais derrière la fiction, une question demeure : et si la réalité dépassait la projection ?

Energie : vers un climat de confiance ?

Soudain, le black-out. L’espace de deux minutes, la salle de conférence de la Chambre de Commerce plonge dans l’obscurité. Parfaitement orchestrée, la mise en scène a produit son effet. Et rappelé, à ceux qui l’oublieraient, notre dépendance aux sources d’énergie…

Rompue à l’art de la négociation, dont la réussite est souvent conditionnée au temps long, Laurence Tubiana a pris toute la lumière en se penchant, en moins de deux heures, sur la transition énergétique. Difficile de trouver meilleure experte : « Cela fait trente ans que je m’occupe du climat », rappelle l’économiste, connue du grand public pour être l’architecte des Accords de Paris en 2015.  En introduction, elle a exprimé un sentiment personnel : « Il y a quelques années, on savait où on allait. Aujourd’hui, c’est confus, on voit beaucoup de contradictions et une énorme tentation qui mènerait à penser que le climat, ce n’est plus la priorité. »

De son point de vue, le coût de l’inaction est déjà quantifiable : « L’invasion russe, qui a tari l’approvisionnement en gaz, a nécessité 792 milliards d’euros de mesures de soutien des gouvernements. Nous avons donc beaucoup dépensé pour amortir le coût des énergies fossiles… On aurait dû, depuis longtemps, s’affranchir de cet approvisionnement russe », juge-t-elle. La dépense est vertigineuse, encore, s’agissant des dégâts estimés par les compagnies d’assurance suite à des catastrophes climatiques : « 400 milliards de dollars en 2024. » Conclusion : « L’inaction n’est pas gratuite. La transition a un coût d’investissement. » À l’entendre, d’autres que l’Europe l’ont bien compris. Son regard se tourne vers la Chine, « qui contrôle 80 % de la chaîne d’approvisionnement dans le solaire et 70 % dans les batteries. La majorité des matériaux critiques sont également retraités par la Chine. » L’avance est telle que pour Laurence Tubiana, une nouvelle ère s’est ouverte. Le sens du transfert technologique en matière d’énergie renouvelable « doit nécessairement s’inverser, de la Chine vers l’Europe. On doit prendre exemple sur la Défense. On a besoin de notre souveraineté, on a besoin de chaînes de valeur. La transition va se faire avec ou sans nous », prévient-elle.

Capable de mettre d’accord 195 pays sur un traité international climatique, Laurence Tubiana, applaudie au terme de son intervention, a conquis une grande partie du public.

Laurence Tubiana, architecte des Accords de Paris, s'est penchée sur la transition energétique (crédit : Charly Petit/Chambre de Commerce).

Technologie: vers une union (européenne) de marchés ?

Son nom était sur toutes les lèvres, sa prise de parole attendue. Le passage sur scène d’Enrico Letta a justifié l’attente. Dans un monde gagné par le repli et les réflexes protectionnistes, l’auteur du très remarqué rapport Much more than a market a tenu un discours fédérateur. Il a prôné l’union d’une Europe plus fragmentée qu’elle n’y paraît. Selon l’ancien président du Conseil des ministres en Italie, le continent se diviserait en deux groupes : « Les pays européens qui sont petits et les pays européens qui ne savent pas qu’ils sont petits ». La formule a fait sourire et réfléchir. Sur le champ technologique comme dans d’autres domaines, l’Europe ne pourrait rattraper son retard qu’en adoptant un véritable marché unique : « Aujourd’hui, on a 27 marchés financiers, 27 marchés de l’énergie, 27 marchés des télécoms », déplore-t-il. Lequel choisir pour gagner en compétitivité ? Celui qu’il resterait à bâtir, collégialement, celui qu’il nomme dans son rapport le « 28e régime (pour résumer, un régime juridique et fiscal qui serait reconnu par l’ensemble des pays, NDLR). En Europe, on est dans le championnat des champions nationaux. » Une réalité qui expliquerait, en grande partie, le retard pris sur les États-Unis champions, eux, d’un marché unique : « Dans le domaine des technologies, les Américains ont fait monter le niveau d’investissement privé. Comment ? En s’appuyant sur leur marché, tellement grand, qui flèche l’investissement vers l’innovation. »

Un 28e régime et une… 5e liberté. La liberté de circulation des biens, services, capitaux et personnes sur le territoire européen, « cela fait très économie du siècle dernier. Cette 5e liberté doit être fléchée vers l’innovation », plaide-t-il.

Lors de sa conversation avec Christel Chatelain, directrice des Affaires économiques à la Chambre de Commerce, il a appelé à mettre fin aux directives européennes, « qui nécessitent une loi d’application nationale. Il faut privilégier les réglements européens qui s’appliquent, eux, partout. »

Unifier, fédérer pour inverser le cours de l’histoire et rendre à l’Europe son leadership passé : le mantra a pénétré l’assistance. Les mots d’Enrico Letta ont résonné fort lors de cette première édition à la hauteur des enjeux.

Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de Commerce a accueilli Enrico Letta (crédit : Charly Petit/Chambre de Commerce).
Enrico Letta a suivi avec intérêt la séquence dédiée à Laurence Tubiana (crédit : Charly Petit/Chambre de Commerce).
Enrico Letta et Christel Chatelain, directrice des Affaires économiques à la Chambre de Commerce (crédit : Charly Petit/Chambre de Commerce).
Claudine Bettendroffer (Copas), Corinne Cahen (députée et ancienne ministre de la Famille), Thomas Dominique (Inspection générale de la sécurité sociale), Vincent Hein (fondation Idea) et Nicolas Henckes (Hospilux SA) ont abordé les effets de la dénatalité au Luxembourg (crédit : Charly Petit/Chambre de Commerce).
(crédit : Charly Petit/Chambre de Commerce).
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(crédit : Charly Petit/Chambre de Commerce).
(crédit : Charly Petit/Chambre de Commerce).
Laurence Tubiana laisse une trace de son passage à la Chambre de Commerce. (crédit : Charly Petit/Chambre de Commerce).
Maxime Sbaihi (à g.) a mis la démographie sur le devant de la scène (crédit : Charly Petit/Chambre de Commerce).
Maxime Sbaihi a alerté sur le danger que représente la dénatalité (crédit : Charly Petit/Chambre de Commerce).
(crédit : Charly Petit/Chambre de Commerce).
Les tables rondes ont permis de prolonger les échanges avec des personnalités locales de premier plan (crédit : Charly Petit/Chambre de Commerce).

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