Après la Défense, place à l’intelligence artificielle. La Chambre de Commerce a livré, ce mardi 20 mai, une nouvelle salve de recommandations, trente très précisément, pour faire du Luxembourg « un Hub de l’IA ». Entretien avec Gérard Hoffmann, CEO de Proximus Luxembourg et président du groupe de travail en charge de la conclusion du rapport intitulé LuxAIhub.
Il faut distinguer l’usage personnel de l’usage professionnel. La démocratisation de l’IA, c’est une réalité depuis fin 2022 et l’apparition de ChatGPT. Au Luxembourg comme ailleurs, nombre de personnes ont souscrit à cet abonnement. Dans le secteur entrepreneurial, on constate un fort intérêt pour cette technologie, en témoigne une cartographie de l’écosystème de l’IA au Luxembourg réalisée par Luxinnovation en 2024. Mais on déplore aussi, en tant que prestataire de services (Gérard Hoffmann occupe la fonction de CEO de Proximus Luxembourg, NDLR), les hésitations des clients à les implémenter de manière structurelle.

La formation. Il faut prendre le temps de former les personnels pour parfaitement appréhender l’IA. On sous-estime la difficulté à l’implémenter dans les processus internes. L’autre obstacle qui ralentit son expansion relève de la notion de confidentialité des données. Le doute est légitime lorsqu’il est question d’entrer des données dans un cloud public. Le Luxembourg a une culture profonde du secret professionnel.
C’est un phénomène classique : l’apparition d’une nouvelle technologie fait toujours émerger des appréhensions. Ce qui est nouveau, ici, c’est que cette vague de digitalisation déferle à une vitesse sans précédent ; elle agit presque comme un tsunami. Et elle réclame une forte accélération du volume d’investissement dans les formations, les infrastructures. Pour apaiser ces craintes, le meilleur moyen consiste à informer, à communiquer à grande échelle en insistant sur le potentiel de l’intelligence artificielle.
Absolument. D’un point de vue général, l’Europe a perdu la main, ces vingt dernières années, dans le secteur de l’IT (Technologies de l’Information). Ce qui diffère avec l’intelligence artificielle, c’est que nous ne dépendons pas uniquement des outils. Nous pouvons construire des productions souveraines (par exemple des clouds souverains comme le fait le Luxembourg) sous contrôle opérationnel européen ou luxembourgeois. L’IA permet de produire des modèles. Si on les entraîne, ils seront européens. Cela constituerait un gage d’indépendance, de souveraineté, de liberté. Profiter de solutions souveraines est un atout indéniable pour le monde entrepreneurial et les PME concernées par les questions de propriété intellectuelle. Prenons l’exemple d’un cabinet d’avocats : ses hésitations à intégrer le cloud public, qui a déjà fait l’objet de fuites de données, sont légitimes. En ce sens, un cloud souverain a un caractère rassurant.
« Tout le monde investit lourdement dans ce secteur, je pense notamment à l’Irlande, à la France et à l’Allemagne »
[ Gérard Hoffmann ]
Les clouds souverains, les datacenters, le superordinateur Meluxina, le futur Meluxina-AI et le projet d’ordinateur quantique MeLuxina-Q… Les investissements alloués à nos infrastructures constituent notre premier atout. Notre second point fort, c’est notre centre financier. Les Etats-Unis, aujourd’hui leaders dans le domaine, ont investi beaucoup d’argent dans l’IA en s’appuyant sur les fonds de Private Equity et Venture Capital. Le Luxembourg doit s’inspirer de cela, notre pays a la capacité de devenir un hub de financement de l’IA et plus généralement de la tech. C’est un levier inattendu qui est apparu au fil des échanges menés par le groupe de travail. La Place financière a clairement un rôle à jouer pour investir massivement dans le développement des nouvelles technologies.
Une startup a besoin de trois choses : le financement, l’accès au marché et des talents. Nous avons déjà abordé la question du financement. Ce qui fait également défaut aujourd’hui, ce sont les talents. Le réservoir local est insuffisant. Il faut attirer les personnes qualifiées dans l’IA et faciliter leur installation. Cette problématique n’affecte pas que les métiers de l’IA, c’est vrai pour tous les secteurs.
Oui, cela peut-être une vraie source d’inspiration. J’étais là aux premières heures du développement du spatial. C’était très embryonnaire avec des visionnaires à l’œuvre. Ce secteur est né sur la communication, sur une stratégie affirmée de Nation Branding qui a permis d’attirer plus d’une centaine de startups au Luxembourg. La philosophie peut être similaire avec en plus, s’agissant de l’IA, une implication plus grande du gouvernement au regard de la notion de souveraineté précédemment évoquée.
Parce que nous sommes en retard sur les Etats-Unis (et dans une moindre mesure sur la Chine). Tout le monde investit lourdement dans ce secteur, je pense notamment à l’Irlande, à la France et à l’Allemagne. Le pire serait de subir des délocalisations d’entreprises vers d’autres centres financiers. Notre groupe de travail préconise la création d’une Plateforme IA pour coordonner efficacement les différentes initiatives engagées, éviter les redondances et établir des synergies. On recense de très bonnes initiatives, le lancement de nombreuses études sur le sujet, mais il faut canaliser cette énergie. Cela n’a pas de sens de travailler chacun dans son coin…