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Impôt, innovation, vieillissement, etc. : 7 pistes pour une action publique plus efficace
The economy

8 minute(s)

22 April 2025

Impôt, innovation, vieillissement, etc. : 7 pistes pour une action publique plus efficace

les mains d'une dame âgée posés sur des billets de banque

Le vieillissement de la population n'est pas sans conséquence, notamment, sur le financement des retraites (crédit : Envato).

Auteur Paul Didier, Lucie Martin et Anthony Villeneuve / Affaires économiques, Chambre de Commerce

Les 19, 20 et 21 mars 2025, s’est tenue la 13e édition du Printemps de l’Economie à Paris, réunissant de nombreux économistes, hauts-fonctionnaires, dirigeants d’entreprises ou responsables d’ONG, autour d’une série de tables rondes qui se sont tenues dans l’hémicycle du Conseil économique, social et environnemental. Le thème de l’action publique était au cœur des discussions. Présente à cet événement par l’entremise de trois de ses économistes, la Chambre de Commerce vous en livre ici les enseignements les plus marquants, en 7 citations.

1. « L’impôt sert à dégager des moyens pour les politiques publiques, pas pour tordre l’économie »

Denis Ferrand, le directeur général du centre de recherche Rexecode, déplore que la fiscalité soit progressivement devenue un outil de correction des comportements, en dépit d’une efficacité relative et d’effets économiques parfois contre-productifs. L’exemple du « coin socio-fiscal » est révélateur : cet indicateur, utilisé pour calculer le degré de taxation totale des revenus du travail, a été utilisé par la France comme outil de politique publique pendant trente ans. Dès le milieu des années 1990, pour compenser l’inflexibilité du salaire minimum et lutter contre le chômage des moins qualifiés, la France a réduit les prélèvements sur les bas salaires. Résultat : un coin socio-fiscal très faible pour les bas revenus… mais parmi les plus élevés d’Europe pour les hauts revenus. Cette stratégie a encouragé la création d’emplois peu qualifiés, sans améliorer l’inclusion dans l’emploi des personnes concernées : le taux d’emploi des moins qualifiés est resté stable à 55% depuis 1993. Une illustration frappante d’un impôt qui, détourné de sa finalité, finit par déformer l’économie sans régler les problèmes de fond.

2. « L’évaluation des politiques publiques est consubstantielle d’une bonne démocratie »

Comme l’indique l’économiste, maître de conférences à l’EHESS, Antoine Bozio, les outils d’évaluation des politiques publiques ne sont pas encore assez diffusés, surtout à l’échelle locale. Pourtant, l’évaluation est nécessaire pour permettre aux citoyens de faire des choix éclairés. Elle permet aussi d’améliorer l’acceptabilité des décisions prises, en particulier en matière de fiscalité. Pour y remédier, Antoine Bozio, également directeur de l’Institut des politiques publiques plaide pour diffuser une véritable culture de l’évaluation auprès des élus comme du grand public, et appelle à la mise en place d’instruments concrets, à l’instar d’une « bibliothèque » recensant toutes les politiques publiques, avec une analyse systématique de leurs coûts et de leurs bénéfices.

3. « En matière d’innovation et de recherche, sur tous les indicateurs qui comparent l’Europe et les Etats-Unis, nous sommes dans un rapport de un à deux »

L’économiste, professeur à la Paris School of Economics, Patrick Artus, s’alarme du retard européen en matière d’innovation. Cet écart s’explique en partie par une spécificité propre à l’Europe : un modèle budgétaire centré sur la protection sociale. En 2022, l’Union européenne (UE) y consacrait 27,9% de son PIB, contre 22,7% aux Etats-Unis en 2021. Résultat : une marge de manœuvre plus limitée pour investir massivement dans l’innovation et la recherche. En 2023, l’UE allouait 2,22% du PIB à la R&D, loin des 3,7% des Etats-Unis en 2022. Le paradoxe est frappant : certains Etats membres dépensent autant, voire plus, que les Etats-Unis en matière de recherche, mais le retard technologique de l’UE persiste et de véritables champions industriels peinent à émerger. L’UE reste freinée par une fragmentation institutionnelle, une régulation importante et une aversion au risque marquée. À cela s’ajoute une différence structurelle dans le partage des gains de productivité. « En Europe, ces gains profitent aux salariés sous forme de hausses de salaires, constate Patrick Artus. Le vrai levier de croissance pour l’UE reste donc l’augmentation du taux d’emploi. À l’inverse, aux États-Unis, ces gains bénéficient surtout aux entreprises, qui en captent la mjeure partie sous forme de profits, malgré un taux d’emploi plus faible. » Les Etats-Unis misent aussi sur un Etat moins présent socialement, mais stratégiquement orienté vers la recherche et l’innovation. Porté par un secteur privé puissant, des financements massifs et une forte capacité d’attraction des talents et des capitaux, l’innovation y est rapide et compétitive – et souvent alimentée par des idées et des ressources venues d’Europe. Un modèle très inégalitaire, qui semble néanmoins efficace pour prendre un avantage technologique. Face à ce déséquilibre croissant, l’UE est à un tournant : comment préserver l’ADN social du Vieux Continent sans décrocher durablement dans la course mondiale à l’innovation ?

Une vue plongeante d'une salle de conférence dédiée à l'innovation
Patrick Artus lors de son intervention à une table ronde consacrée aux mécanismes de soutien à l'innovation (crédit : Affaires économiques / Chambre de Commerce).

4. « Avoir 27 Etats membres qui sont en concurrence les uns avec les autres, ça ne fait pas une politique industrielle »

L’électrification de l’automobile constitue une rupture technologique susceptible d’avoir des conséquences économiques majeures, notamment pour l’industrie européenne. « Est-ce que les acteurs de l’automobile aujourd’hui seront ceux qui feront les voitures de demain ou est-ce que, comme les fabricants de diligences ou de machines à écrire, ils disparaîtront avec leur technologie ? », résume Philippe Escande, éditorialiste au Monde. Face à cette menace, l’action publique est nécessaire. Mais quelle forme doit-elle prendre ? Tommaso Pardi, Directeur du Think tank GERPISA  invite l’Europe à coordonner ses efforts : « Il faut investir massivement de l’argent public dans cette transition, pour combler notre retard technologique et bâtir de nouvelles filières et une nouvelle infrastructure. Mais les Etats ne peuvent pas s’endetter seuls, ils doivent le faire à l’échelle européenne. Il faut voir cela comme un nécessaire investissement dans notre avenir industriel. »

5. « Le ratio de dette sur PIB n’est pas le bon indicateur pour mesurer si la dette va être soutenable ou pas »

Jusqu’à quel point peut-on s’endetter pour financer les investissements nécessaires aux enjeux de l’époque ? Mathilde Viennot, économiste, co-fondatrice de l’Institut Avant-garde, invite à dépasser la simple analyse du ratio dette/PIB, largement imparfait, pour mesurer la soutenabilité de la dette publique : « On confond souvent la soutenabilité d’une dette avec sa liquidité. On peut être soutenable, mais non liquide. On confond aussi soutenabilité et solvabilité. » Selon elle, la soutenabilité est multifactorielle. Pour la mesurer, il convient d’analyser la qualité des politiques publiques, le taux d’intérêt, la maturité de la dette, la nature de la monnaie dans laquelle elle est nominée, et enfin l’identité et la nationalité des détenteurs de la dette.

6. « Nous sommes face à un véritable choc du vieillissement. Nous basculons dans une nouvelle phase, dans laquelle les baby-boomers vont entrer dans le grand âge et la dépendance »

L’avertissement vient d’Alain Villemeur, Docteur en Sciences Économiques à l’Université Paris-Dauphine. Celui-ci alerte : « La fragilité de la génération des baby-boomers va se manifester de plus en plus, avec une très forte progression du nombre de personnes dépendantes dans les dix prochaines années. » Et les conséquences économiques anticipées sont majeures. « Si l’on veut respecter des normes de qualité dans la prise en charge de la dépendance, il faut en moyenne un encadrant pour une personne dépendante. » Au Luxembourg, où les difficultés de recrutement dans le secteur de la santé sont réelles, l’enjeu est important. Alors qu’on comptait 25.000 personnes âgées de plus de 80 ans en 2020, ce nombre pourrait atteindre 70.000 personnes en 2050 et plus de 85.000 en 2060, selon les projections démographiques de l’ONU. Qui va payer pour financer leur prise en charge ? Est-ce que la solidarité générationnelle doit s’appliquer ou est-ce que l’on va demander uniquement aux retraités de financer leur dépendance ? « C’est une question sociétale majeure qui va se poser dans les prochaines années », prédit Alain Villemeur.

7. « Les politiques publiques en faveur de la biodiversité en sont au même niveau qu’étaient, il y a dix ans, les politiques publiques sur le climat »

Lors d’une passionnante table-ronde, l’économiste de la Banque de France Oriane Wegner soulignait que les politiques publiques ont besoin d’une modélisation des différents risques qui pèsent sur l’économie avant de pouvoir mettre en œuvre des réponses adaptées. Or, le manque de modèles robustes pour anticiper les effets en cascade de la dégradation de la biodiversité freine l’action. Les interactions complexes entre écosystèmes rendent la modélisation difficile, alors même que nos économies sont fortement dépendantes des services rendus par la nature. Exemple frappant : les stress tests climatiques utilisés par les banques centrales n’intègrent pas encore les risques liés à la nature, faute de scénarios adaptés, comme l’a rappelé Olivier Simon, du Commissariat général au développement durable. Sans outils adaptés, les politiques restent aveugles à une part croissante des risques à venir.

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